Vous voulez savoir si l’addiction au trail existe ? Qu’est-ce que l’addiction au sport ? Est-elle moins mauvaise que d’autres addictions ? Cet article est pour vous !

L’addiction au trail : mythe ou réalité ?
On vante souvent le sport, notamment ceux d’endurance d’ailleurs, aux multiples bénéfices, comme une source de santé, de plaisir et d’équilibre. Pourtant, il peut devenir envahissant. Il peut alors conduire à des blessures, à un isolement social ou à une véritable souffrance psychologique. C’est ce que la recherche désigne sous le terme d’addiction au sport, un phénomène encore mal défini mais présent dans les disciplines d’endurance comme le trail et l’ultra. Enfin … “présent” … bien moins que certains le croient.
Dans ce billet, je propose d’examiner en détail ce que recouvre ce concept. Pour cela, nous allons parler de son évolution historique, des critères qui permettent de le distinguer d’une pratique simplement intense, ainsi que les chiffres disponibles sur sa prévalence. Nous verrons ensuite en quoi hommes et femmes peuvent être différemment concernés, quels sont les profils psychologiques les plus vulnérables, et pourquoi le trail et l’ultra-endurance constituent un terrain d’étude privilégié. Enfin, nous reviendrons sur les zones d’ombre qui persistent, entre outils de mesure imparfaits, estimations variables et absence de consensus clinique. Commençons par quelques définitions.
Qu’est-ce que l’addiction au sport ?
Un article particulièrement éclairant sur ce sujet est celui de Berczik et al. (2012). Les auteurs rappellent que le concept d’addiction appliqué au sport est relativement récent. Dans les années 1970, William Glasser introduit la notion de « positive addiction », censée désigner des comportements bénéfiques, comme l’exercice ou la méditation, en opposition aux addictions aux substances aux effets délétères. Mais rapidement, d’autres chercheurs ont souligné que l’exercice poussé à l’excès pouvait aussi avoir des effets négatifs : blessures, surentraînement, mais également conséquences sociales, comme la négligence des responsabilités ou de la vie familiale.
Progressivement, la notion de « positive addiction » a été abandonnée au profit de termes plus précis. On retrouve dans la littérature des expressions comme exercise dependence (dépendance à l’exercice), compulsory exercise (exercice compulsif) ou encore exercise abuse (excès d’exercice). Aujourd’hui, il n’existe pas de consensus absolu sur la terminologie. Toutefois, Berczik et al. (2012) considèrent le terme « addiction à l’exercice » comme le plus pertinent, car il reflète le mieux la réalité clinique et scientifique du phénomène.
Qu’est-ce qu’une addiction ?
Avant de préciser ce que recouvre l’addiction au sport, il est utile de rappeler ce qu’est une addiction en général. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) définit les addictions comme des pathologies marquées par une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences délétères. Les addictions aux substances incluent par exemple le tabac, l’alcool, le cannabis ou la cocaïne. Du côté des addictions sans substance, seul le jeu pathologique est officiellement reconnu dans les classifications internationales. Cela signifie que l’addiction à l’exercice n’a pas encore de statut clinique officiel, même si la littérature scientifique la rapproche fortement des autres addictions comportementales, et l’étudie.
Qu’est-ce qu’une dépendance ?
Pour qu’il y ait addiction, il faut qu’il y ait dépendance. Le DSM-5 (c.-à-d. le manuel officiel de l’association américaine de psychiatrie qui définit toutes les troubles mentaux, comportementaux et psychiatriques) définit ce qu’est la dépendance à travers 11 critères :
- Besoin impérieux et irrépressible de consommer la substance ou de pratiquer le comportement.
- Perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance ou au comportement.
- Beaucoup de temps consacré à la recherche de substances ou au comportement.
- Augmentation de la tolérance au produit addictif.
- Présence d’un syndrome de sevrage lors de l’arrêt brutal de la consommation ou du comportement.
- Incapacité de remplir des obligations importantes.
- Usage même lorsqu’il y a un risque physique.
- Problèmes personnels ou sociaux.
- Désir ou efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité.
- Activités réduites au profit de la consommation ou du comportement.
- Poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques ou psychologiques.
Ces critères permettent de caractériser le degré de sévérité de l’addiction. S’il existe la présence de 2 à 3 critères, on parle d’une addiction faible. Dans le cas de la présence de 4 à 5 critères, on parle d’une addiction modérée. Et enfin s’il est observé 6 critères ou plus, on parle d’addiction sévère.
L’addiction au sport : une addiction comportementale
Désormais, je pense que ce qu’est une addiction est clair pour tout le monde. L’addiction au sport s’inscrit donc le champ des addictions comportementales. Elle se définit comme un comportement procurant plaisir ou soulagement face à une tension interne, mais qui se maintient malgré des conséquences négatives, et qui s’accompagne d’une perte de contrôle. Comme pour d’autres formes d’addiction, plusieurs critères, parfois plus spécifiques, sont utilisés pour la caractériser. On pense par exemple à l’importance excessive accordée à l’activité, la modification de l’humeur, le développement d’une tolérance, la présence de symptômes de sevrage, l’apparition de conflits personnels et la tendance aux rechutes. Ces dimensions permettent de distinguer une pratique sportive simplement intense d’un véritable trouble de l’addiction.
Juwono et al. (2022) rappellent que si l’exercice physique est reconnu pour ses effets positifs sur la santé, il peut, lorsqu’il est pratiqué de manière excessive et incontrôlée, entraîner des conséquences délétères d’ordre physique, psychologique ou social. L’addiction à l’exercice, classée parmi les addictions comportementales au même titre que le jeu pathologique ou l’addiction à Internet ou au sexe. Les individus concernés présentent des symptômes typiques tels que la saillance, le conflit, la modification de l’humeur, le sevrage, la tolérance et la rechute. Ces critères sont typique du modèle des composantes de l’addiction.
Contrairement à une croyance populaire, il est important de souligner que le volume d’entraînement en soi n’est pas suffisant pour qualifier une addiction.c En effet cette dernière n’est caractérisée que lorsque l’exercice est associé à des dommages significatifs pour l’individu. Malheureusement, bien que le champ ait suscité un grand intérêt, aujourd’hui l’absence de résultats convergents et de preuves empiriques robustes a empêché l’inclusion officielle de l’addiction à l’exercice dans le DSM-5 (APA, 2013), soulignant l’état encore débattu du consensus scientifique sur ce trouble.
Addiction au sport : une addiction primaire ou secondaire ?
Berczik et al. (2012) distinguent aussi deux formes d’addiction à l’exercice : l’addiction primaire et l’addiction secondaire. Dans le premier cas, le sport est l’objectif central de l’addiction. L’individu poursuit l’entraînement de manière compulsive. Le comportement addictif se manifeste comme une véritable dépendance comportementale autonome, où l’exercice constitue la finalité.
À l’inverse, l’addiction secondaire survient lorsque la pratique excessive est le symptôme d’un autre trouble, le plus souvent un trouble du comportement alimentaire (anorexie, boulimie) ou une obsession liée à l’image corporelle. Ici, l’exercice n’est pas recherché pour lui-même, mais utilisé comme un moyen de contrôle pondéral ou de compensation, en complément d’un régime alimentaire strict. Bien que les manifestations cliniques soient proches leur origine diffère. Dans la suite, nous parlerons surtout d’addiction au sport primaire.
L’addiction au sport est-elle fréquente ?
Une question importante à traiter concerne la fréquence de l’addiction au sport, autrement dit sa prévalence. Les estimations varient en réalité considérablement selon les études. Berczik et al., 2012 résument que d’autres travaux portent cette dernière à 52% chez les triathlètes et 25% chez les coureurs et 26% chez les coureuses. Ils rappellent tout de même que parallèlement, d’autres travaux parlent de 3% chez les ultra-marathoniens à risque, et 3% chez les sportifs “en général”.
Prévalence de l’addiction au sport
Une étude de grande qualité sur le sujet est celle de Di Lodovico et al., en 2019. Ces auteurs ont conduit une méta-analyse qui a compilé 48 études observationnelles ayant utilisé les deux principaux outils de dépistage de l’addiction à l’exercice. Il s’agit de l’Exercise Addiction Inventory (EAI) et l’Exercise Dependence Scale (EDS) (disponibles en français ici, et ici).
Les résultats montrent que les disciplines d’endurance présentent les prévalences les plus élevées, mais avec des estimations différentes selon l’outil de mesure. Lorsque l’EAI est utilisé, la proportion de sportifs considérés à risque atteint 14,2 % chez les athlètes d’endurance, contre 10,4 % dans les sports collectifs, 8,2 % chez les pratiquants de fitness et 6,4 % dans les disciplines de force. En revanche, avec l’EDS, les chiffres sont beaucoup plus bas pour l’endurance (3,5 % seulement). Cela place place cette catégorie derrière les sports collectifs (15,3 %), les disciplines de force (10,7 %) et le fitness (6,0 %), mais toujours au-dessus de la population générale. Et cet écart me semble important à comprendre.

Pourquoi une telle différence ?
Cette différence de est essentielle à souligner. L’Exercise Addiction Inventory (EAI), se base sur la définition conceptuelle des addictions comportementales. Il a tendance à identifier une proportion large de pratiquants dit « à risque ». Cet outil est parfois utilisé à des fins de “screening”, c’est-à-dire d’identification précoce. Cela peut être intéressant pour surveiller des profils, les accompagner et déclencher des actions de prévention, mais au prix d’une surestimation fréquente.
On peut d’ailleurs noter, par exemple, les trois questions suivantes, dont les réponses peuvent facilement être interprétées comme normales, ou pathologiques
- “J’utilise l’exercice physique comme moyen d’agir sur mon humeur (par ex. pour « m’éclater »)” ; qui peut renvoyer au plaisir pris dans la pratique et ses bienfaits sur la santé mentale, largement documenté et même recommandé à cette fin dans le milieu médical (p. ex. stress).
- “Au fil du temps j’ai augmenté la quantité d’exercice physique que je pratique” ; qui peut simplement refléter une augmentation du niveau dans le sport pratiqué.
- “Si je réduis drastiquement mon activité physique pendant un temps, je finis toujours tôt ou tard par revenir au moins au même rythme qu’avant” ; qui peut refléter une habitude de pratique et non un comportement compulsif.
L’Exercise Dependence Scale , l’EDS, s’appuie lui directement sur les critères de la dépendance du DSM-IV (la version précédent le DSM-V, mentionné précédemment). Cela rend cet outil plus strict, plus précis, et conduit à des prévalences plus faibles, certains plus proches de la réalité. Au final, ces deux outils me semblent intéressants et complémentaires. Cette méta-analyse met en évidence à la fois la vulnérabilité particulière des pratiquants de sports d’endurance (avec l’EAI), qui peut alerter et justifier des campagnes de prévention ; et la prévalence de dépendance réelle aux sports d’endurance avec l’EDS.
Les hommes sont-ils plus addict au sport que les femmes ?
La revue de littérature de Dumitru et al. (2018) s’est intéressée aux différences hommes-femmes dans l’addiction au sport. Elle montre que sa prévalence serait en moyenne plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Avec l’Exercise Addiction Inventory, les études retrouvent généralement des taux compris entre 10 et 20 % chez les hommes, contre 6 à 16 % chez les femmes. Avec l’Exercise Dependence Scale elles sont plus basses mais la tendance reste la même. On retrouve autour de 3 à 8 % chez les hommes, contre 1 à 6 % chez les femmes.
Mais, quelques exceptions existent cependant. Chez les triathlètes, Youngman & Simpson (2014) rapportent par exemple 22 % de femmes à risque contre 17,9 % d’hommes. D’autres études sur le marathon retrouvent des différences moins marquées entre les sexes. Cela suggérerait que lorsque les femmes s’engagent dans ces disciplines à forte charge d’entraînement, leur risque de comportements compulsifs peut devenir comparable à celui des hommes.
Enfin, les résultats suggèrent que les différences de genre sont surtout qualitatives. Les hommes sont plus souvent décrits comme présentant une addiction primaire à l’exercice, c’est-à-dire pour la pratique elle-même. Chez les femmes, la pratique excessive serait associée à d’autres problématiques, en particulier les troubles du comportement alimentaire, avec une addiction donc plus secondaire.
Ccomment l’addiction au sport se développe-t’elle ?
Un aspect de l’addiction au sport qui me semble crucial à aborder concernent ses déterminants. En effet, sans être alarmiste, j’ai le sentiment qu’en ayant connaissance des éléments qui favorisent cette dernière, il sera plus facile d’être alerte sur ce trouble, et de faire une prévention efficace, pour soi même ou pour son entourage.
Les déterminants de l’addiction à la course à pied selon Maceri et al., 2021
Une étude menée par Maceri et al. (2021) a examiné les déterminants de l’addiction à l’exercice chez 248 coureurs de fond (âge moyen 39 ans, 53 % d’hommes), tous ayant participé à au moins un semi-marathon dans l’année écoulée. L’addiction a été évaluée à l’aide de la Running Addiction Scale. L’identité athlétique était aussi mesurée avec un outil spécifique. De manière simplifiée, cette dimension représente le degré avec lequel une personne se définit comme un « sportif », avec un rôle central de cet aspect de sa personnalité dans son image de soi.
Leurs analyses statistiques révèlent que trois variables sont significativement corrélées à un score plus élevé d’addiction à la course à pied :
- l’identité athlétique.
- le nombre de séances de course par semaine.
- le nombre de blessures survenues au cours des deux dernières années.
De plus, deux autres facteurs montraient une tendance plutôt protectrice, sans atteindre la significativité statistique mais en s’en rapprochant.
- l’indice de masse corporelle.
- le nombre d’années de pratique régulière.

Pour clarifier, cela signifie qu’au plus l’IMC est élevé, et au plus le nombre d’année de pratique régulière est élevé, au plus l’addiction à la course à pied était faible. Aussi, ces résultats mettent en évidence un profil à risque. Les athlètes qui se définissent fortement comme tels, qui s’entraînent souvent, et qui pratique depuis peu de temps seraient plus à risque de développer une addiction au sport. De même, une haute quantité de blessure pourrait favoriser ce risque même si, dans cette direction, la causalité de la relation semble étrange. En effet, il est plus probable que la direction de la relation soit inversée (c.-à-d. addiction au sport = blessure), mais cela reste à démontrer.
Addiction au trail – L’étude de Gauld et al., 2024
L’étude de Gauld et al. (2024) (dont Laurent Gergelé, reçu dans l’épisode 53 du podcast sur la santé en ultra-trail) est intéressant. Elle a intérrogé des ultra-traileurs hospitalisés pour complications sévères après un ultra-trail (p. ex. rhabdomyolyse, hyponatrémie). Douze athlètes ont été inclus (11 hommes, 1 femme). Leurs scores à l’Exercise Addiction Inventory indiquent que seul un athlète était classé « à risque ». Cependant, 11 sur 12 présentaient des symptômes caractéristiques avec scores intermédiaires.
Pour rappel, ce questionnaire est divisé en plusieurs sous-dimensions. Cette étude a aussi révélé que la dimension de ce questionnaire liée à l’utilisation du sport pour modifier son l’humeur était central dans l’addiction, suivi des symptômes en cas de sevrage. Autrement dit, l’utilisation du sport afin de réguler ses émotions déterminerait fortement le risque d’addiction au trail, plus que la quantité d’entraînement par exemple.
Les auteurs ont aussi observé des liens entre certains traits de personnalité et les symptômes d’addiction. Les personnes avec une forte instabilité émotionnelle démontrait de plus haut score de sevrage et de modification de l’humeur. Celles avec un haut fort caractère agréable était celles avec le moins de risque de rechute en cas de réduction de leur quantité d’entraînement. Ces notions peuvent vous sembler flous. Si vous souhaitez un épisode sur les traits de personnalité et les sports d’endurance, n’hésitez pas à me le faire savoir !
Les conclusions de cette étude plaident pour un dépistage psychologique systématique après hospitalisation suite à un trail. Elle rappelle que la prévention ne doit pas se limiter au volume d’entraînement. C’est la fonction psychologique de l’exercice, et notamment son rôle pour réguler son humeur, qui constituerait un levier majeur de vulnérabilité.
Un rôle de la personnalité d’après Bircher et al. (2017)
Je trouve intéressant de noter que Bircher et al. (2017) avaient déjà montré combien la personnalité pouvait influencer le risque d’addiction dans les sports d’endurance. Leur analyse montre que certains profils reviennent de manière récurrente. Le perfectionnisme apparaît comme l’un des facteurs les plus récurrents. Les personnes qui visent systématiquement un idéal élevé, et qui tolèrent mal l’échec, sont particulièrement vulnérables à l’addiction au sport.
Le narcissisme est aussi régulièrement associé à des comportements addictifs. Cela serait vrai notamment lorsque l’image corporelle et la reconnaissance sociale deviennent centrales dans la pratique sportive. D’autres dimensions, comme une estime de soi fragile, la dépendance à la récompense ou un faible niveau de coopération, semblent également jouer un rôle. Toute cette littérature semble pointer du doigt que l’addiction au sport est moins une question de volume d’entraînement qu’une combinaison de vulnérabilités psychologiques spécifiques, qui peuvent rendre certains individus plus sensibles à transformer une pratique saine en dépendance.
Addiction et santé mentale en ultra-endurance
En complément, une revue systématique s’est intéressée à la santé mentale des coureurs d’ultra (Thuany et al., 2023). Ils ont compilé les résultats de 11 études et plus de 3 600 participants. Parmi les problématiques recensées, l’addiction à l’exercice apparaît comme l’un des troubles les plus étudiés et les plus préoccupants. Les résultats indiquent que 11,5 à 18,2 % des coureurs d’ultra peuvent être considérés comme « à risque ». D’autres résultats de cette étude montre, encore une fois, que contrairement à une idée répandue, cette vulnérabilité n’est pas proportionnelle au volume d’entraînement ou à la distance parcourue. Ce ne sont pas nécessairement ceux qui présentent les plus hauts scores d’addiction.
Les auteurs soulignent que des variables comme l’âge, l’indice de masse corporelle et le contexte de pratique sont par contre prédicteurs. Ainsi, courir de manière régulière dans des environnements non structurés (parcs, espaces publics, sentiers libres), comme en trail, semble accroître le risque. Peut-être que ces lieux offrent moins de cadre, favorisant une pratique plus déstructurée. De plus, l’addiction à l’exercice est fréquemment associée à des troubles du comportement alimentaire. Cette dernière s’est retrouvée dans 32 à 62 % des cas selon les études analysées.
L’addiction au sport – un champ d’étude qui manque de précision
Malgré plus d’un millier de publications consacrées à l’addiction au sport, ce domaine est marqué par d’importantes zones d’incertitude. C’est en tout cas ce que défendent Weinstein & Szabo en 2023. D’abord, il n’existe pas de critères diagnostiques officiels. l’addiction à l’exercice n’est pas reconnue dans le DSM-5, faute de preuves convergentes sur ses manifestations ses symptômes. Ensuite, la plupart des études reposent sur des questionnaires auto-rapportés. Ces derniers pourraient confondre un fort engagement dans l’endurance, avec une véritable dépendance. De plus, ces outils ne distinguant pas clairement l’addiction primaire de l’addiction secondaire.,Aussi, ils pourraient surestimer les prévalences.
Un autre problème réside dans les écarts importants entre les instruments de mesure. L’Exercise Addiction Inventory identifie une proportion élevée de sportifs « à risque ». Cependant, son approche est large et pose question. Certaines questions, comme « augmenter progressivement la quantité d’entraînement », peuvent être interprétés à double sens. Ils traduisent parfois des comportements sains et attendus chez un sportif investi. Cependant cet outil peut les utiliser pour identifier une addiction. Ce flou méthodologique contribue à élargir artificiellement la proportion de pratiquants considérés « à risque » d’addiction.
À l’inverse, l’Exercise Dependence Scale est construite sur les critères de l’addiction du DSM-IV. Ses questions se rapprochent davantage d’une logique clinique et conduit à des estimations plus faibles. Néanmoins, il me semble encore rarement utilisé. En l’état actuel, il est donc difficile de comparer les chiffres d’une étude à l’autre ou de tracer des tendances fiables. Pour progresser, Weinstein & Szabo appellent à des recherches plus homogènes, intégrant des entretiens cliniques, distinguant mieux les formes primaires et secondaires, et clarifiant la frontière entre engagement passionné et comportement pathologique.
Un résumé intéressant par Juwono et al., 2022
Avant de conclure je souhaite mentionner la revue de littérature de Juwono et al., (2022). Elle résume différents points clés des connaissances actuelles sur l’addiction au sport. Cette revue met en évidence que l’état des connaissances reste contrasté. Sur le plan des différences de genre, la majorité des études ne relèvent pas d’écart significatif entre hommes et femmes, même si certaines travaux isolés suggèrent un risque accru tantôt chez les hommes, tantôt chez les femmes (McNamara & McCabe, 2012).
D’autres facteurs apparaissent plus consistants. Les athlètes à risque d’addiction présentent souvent un IMC plus bas. Ils ressentent aussi une pression accrue de l’entourage sportif et rapportent un soutien social moindre. Le type de sport pourrait également intervenir. Certaines études suggérent une vulnérabilité plus forte dans les disciplines individuelles. Les motivations liées à la compétition et au statut social ressortent comme corrélées positivement au risque d’addiction. Il est en de même pour le niveau de compétition. Les athlètes professionnels rapportent généralement des scores plus élevés que les pratiquants amateurs.
L’addiction s’accompagne également d’une sévérité accrue des symptômes (sevrage, perte de contrôle, réduction du temps pour d’autres activités) et s’articule avec une passion dite obsessionnelle et moins harmonieuse. Enfin, des liens étroits apparaissent entre l’addiction à l’exercice et les troubles de la dépression et de l’anxiété, particulièrement chez les athlètes de haut niveau.
Conclusion – L’addiction au trail existe-t’elle vraiment ?
L’addiction au sport se situe à la frontière entre passion, investissement sérieux et trouble du comportement. Les études montrent que dans les disciplines d’endurance comme le trail et l’ultra-trail, ce phénomène existe. Toutefois, la prévalence des cas diagnostiqués reste relativement basse (≈3,5 %), et inférieure à celle observée dans d’autres sports comme le fitness (≈6 %). Il faut rappeler que ce n’est pas la quantité d’entraînement qui définit l’addiction, mais bien les conséquences négatives et la perte de contrôle qui distinguent une pratique intense d’une dépendance pathologique.
Les recherches récentes soulignent que la vulnérabilité dépend de facteurs individuels. L’identité athlétique, certains traits de personnalité comme le perfectionnisme ou le narcissisme, ou encore le recours au sport comme régulateur émotionnel constituent des éléments de risque. Des différences sexuées apparaissent aussi. Chez les femmes, la proximité avec les troubles du comportement alimentaire oriente davantage vers une addiction secondaire, tandis que les hommes semblent plus exposés à des formes primaires, centrées sur la pratique elle-même.
Enfin, les estimations de prévalence varient fortement selon les outils de mesure. Cela peut-être le reflet du manque de consensus scientifique et une possible explication de l’absence de l’addiction au sport dans le DSM-5. Dans ce contexte, il est essentiel de ne pas confondre engagement intense et dépendance, tout en restant attentif et en faisant de la prévention. Seule une minorité d’athlètes bascule dans des comportements véritablement addictifs, avec des conséquences délétères. Pour le coureur ou la coureuse d’endurance, la vigilance consiste à surveiller la place que prend le sport dans sa vie et à maintenir un équilibre entre plaisir, progression et autres sphères de la vie “normale”. C’est sans doute une condition pour que la passion reste une source d’épanouissement, et non une contrainte, ou une béquille sans laquelle on ne sait plus marcher.
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Références bibliographiques
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