Vous vous demandez ce qu’est le dopage en trail ? Ou en sont les règles et pourquoi certains athlètes sont contrôlés positifs à des substances prohibées mais ne sont pas sanctionnés ? Cet article est pour vous !

Le trail face à ses zones d’ombre : dopage et conduites dopantes
Le trail est souvent considéré comme une discipline en harmonie avec la nature et à l’abri des scandales. Cependant, la réalité le rattrape vite. Cette discipline, encore très jeune, ne semble pas échapper à une réalité assez sombre du haut niveau, le dopage. Ces dernières années, plusieurs affaires ont ébranlé cette image. Par exemple, Didier Zago a été contrôlé positif à l’EPO, Christelle Dewalle à l’heptaminol et Lucas Manfredi au triamcinolone acetonide. Stéphanie Perriard a été suspendue pour possession et trafic d’anabolisants, utilisation de produits dopants, et violation de suspension.
Petro Mamu et Mar Kangogo ont été contrôlés positifs, l’un au fénotérol et l’autre à la triamcinolone acétonide. Autre exemple que j’ai trouvé personnellement aberrant. Esther Chesang, suspendue pour dopage au Kenya a pris le et remporté Sierre-Zinal 2022. Malgré un contrôle négatif à son arrivée, cela questionne. Plus récemment, Stian Angermund a été testé positif au chlorthalidone, un diurétique interdit, utilisé notamment comme agent masquant d’autres substances. Et enfin, il y a peu, Joyline Chepngeno a été suspendu pour 2 ans suite à un contrôle positif à la triamcinolone, un corticostéroïde interdit. Le contrôle avait été effectué suite à sa victoire à Sierre-Zinal 2025.
Au-delà des contrôles officiels, certaines pratiques ont été mises en lumière par des programmes indépendants, comme le programme Quartz ou l’organisme Athletes for Transparency. Leurs analyses ont révélé l’usage de substances interdites ou controversées lors de grandes courses comme l’UTMB ou les Templiers, où les contrôles réglementaires restent rares. Ces initiatives, bien qu’utiles, posent des questions sur leur légitimité, leur transparence et l’application réelle de sanctions.
Dopage ou conduite dopante ?
L’écart se creuse entre l’image du trail et au moins une partie de sa réalité compétitive actuelle. Cependant, pour le grand public, mais aussi pour de nombreux pratiquants, le terme dopage est flou et souvent confondu avec d’autres pratiques comme, par exemple, les “conduites dopantes“. Cette confusion entretient des malentendus. Certaines pratiques à risque sont banalisées, tandis que d’autres, pourtant autorisées, sont injustement assimilées à du dopage.
Dans la suite de cet article, nous verrons ce que recouvrent précisément ces deux concepts, comment une substance devient officiellement interdite, et ce que la science sait des pratiques dopantes dans le trail.
Dopage et conduite dopante
Définition du dopage sportif
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Avant de continuer, commençons par une définition. Le dopage renvoie à une pratique claire, identifiée, bornée. La définition du dopage découle de la World Anti-Doping Agency (WADA ou AMA) et est réutilisée par les autres agences nationales comme l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD). Le dopage correspond à la violation d’une ou plusieurs règles antidopage.
Il est cruciale de comprendre que ces règles sont d’une part harmonisées à l’échelle internationale, et communes à tous les sports (sauf quelques très rares exceptions dont nous reparlerons par la suite). Ces règles ont pour but de garantir l’équité sportive et protéger la santé des athlètes. |
Les 11 violations possibles du Code Mondial Antidopage
Le Code Mondial Antidopage définit 11 façons possibles d’enfreindre les règles, intentionnellement ou non. Voici ce que cela signifie concrètement :
- Présence d’une substance interdite dans l’organisme. Si une substance interdite ou ses traces sont détectées dans un échantillon (urine, sang), c’est une violation, même sans intention de tricher. C’est ce qu’on appelle la responsabilité objective. L’athlète est responsable de ce qu’il ingère.
- Usage ou tentative d’usage d’une substance ou méthode interdite. Il suffit d’utiliser, ou même d’essayer d’utiliser, un produit ou une méthode interdite, pour être en infraction, même si le produit n’a pas amélioré la performance.
- Refus ou évitement d’un contrôle. Refuser de donner un échantillon ou éviter volontairement un contrôleur est une violation. Cela inclut aussi le fait de ne pas se présenter sans raison valable à un contrôle après notification.
- Manquements à l’obligation de localisation. Les athlètes inscrits dans un groupe cible doivent indiquer où ils se trouvent pour permettre des contrôles inopinés. Trois absences ou manquements en 12 mois constituent une violation.
- Falsification ou tentative de falsification d’un contrôle. Modifier, manipuler ou tenter de manipuler tout élément du processus de contrôle. Par exemple remplacer un échantillon ou fournir de fausses informations, est interdit.
- Possession de substances ou méthodes interdites. Détenir un produit ou du matériel interdit, que ce soit en compétition ou hors compétition (selon les règles de la substance).
- Trafic ou tentative de trafic. Vendre, fournir ou distribuer des produits ou méthodes interdits, ou tenter de le faire, est une violation, que ce soit pour soi ou pour un autre athlète.
- Administration ou tentative d’administration. Donner ou tenter de donner un produit ou d’appliquer une méthode interdite à un athlète, en compétition ou hors compétition selon le cas, constitue une infraction.
- Complicité ou tentative de complicité. Aider, encourager, couvrir ou faciliter toute violation des règles antidopage est interdit, même sans en être l’auteur direct.
- Association interdite. Travailler avec un entraîneur, un soigneur ou tout autre membre du staff qui est suspendu pour dopage ou reconnu coupable dans une affaire de dopage est interdit, sauf si cette relation est non sportive ou impossible à éviter.
- Intimidation ou représailles. Menacer, intimider ou exercer des représailles contre une personne qui signale ou témoigne dans une affaire de dopage est une violation à part entière.
La Liste des Interdictions : l’outil de référence mondial
Chaque année, l’Agence Mondiale Antidopage (WADA) publie donc la fameuse Liste des Interdictions, harmonisée à l’échelle mondiale. Cette dernière est disponible gratuitement et publiquement ici.
- En compétition : certaines substances ou méthodes sont interdites uniquement pendant l’épreuve (ex. stimulants, narcotiques, transfusions sanguines).
- Hors compétition : d’autres sont interdites en permanence (ex. EPO, stéroïdes anabolisants, hormones de croissance).
Pour qu’une substance ou méthode figure sur la Liste des Interdictions, elle doit répondre à au moins deux critères sur trois :
- Amélioration potentielle de la performance.
- Risque pour la santé.
- Violation de l’esprit sportif.
En endurance, les produits les plus fréquents incluent l’EPO, les stéroïdes anabolisants, les stimulants (comme les amphétamines), les corticoïdes injectables et les hormones de croissance.
Comment sont effectués les contrôles antidopage ?
Le contrôle antidopage n’est qu’un des nombreux leviers d’action déployés par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) pour lutter contre le dopage. Lorsqu’il est mis en œuvre, il suit une procédure rigoureuse, pensée pour garantir à la fois l’équité et la transparence.
- Sélection et notification. Les athlètes peuvent être sélectionnés pour un contrôle en compétition (pendant ou juste après une course) ou hors compétition (entraînement, domicile, lieu de vie). Un officier de contrôle antidopage ou un accompagnateur notifie l’athlète, l’informe de ses droits et responsabilités, et l’accompagne jusqu’au lieu du prélèvement.
- Droits et responsabilités de l’athlète. L’athlète peut se faire accompagner (entraîneur, médecin…), demander un interprète, formuler des réserves écrites, ou demander un délai justifié (cérémonie, soins, entraînement en cours). Il doit rester visible de l’officier de contrôle, présenter une pièce d’identité valide, et coopérer pleinement durant le prélèvement.
- Prélèvement des échantillons. L’officier de contrôle antidopage remet à l’athlète des récipients pour la collecte d’urine ou de sang. L’échantillon est divisé dans deux flacons, A (analysé) et B (conservé pour éventuelle contre-analyse). Le recueil se fait sous surveillance, dans des conditions impartiales et conformes aux normes.
- Documentation. Le contrôle est consigné dans un formulaire officiel, signé par l’athlète et le contrôleur. L’athlète reçoit une copie du document.
- Analyse en laboratoire. Les échantillons sont acheminés vers un laboratoire accrédité par l’AMA, qui procède aux analyses selon les procédures scientifiques validées.
- Notification et gestion des résultats. Les résultats sont enfin transmis aux athlètes. En cas de résultat positif, l’athlète est informé et la procédure disciplinaire démarre conformément au Code mondial antidopage. Les décisions sont prises selon des standards internationaux assurant rigueur et équité.
Prévalence du dopage – Quelques chiffres
Les données publiées par le Mouvement pour un Cyclisme Crédible (MPCC) montrent qu’entre le 1ᵉʳ janvier et le 25 juin 2025, plusieurs centaines de cas de dopage ont été révélés parmi les athlètes de haut niveau, toutes disciplines confondues. L’athlétisme arrive largement en tête avec 68 cas confirmés (et jusqu’à 74 si l’on inclut les affaires de fraude et de corruption). Ce chiffre est particulièrement significatif car la catégorie « athlétisme » regroupe de nombreuses disciplines, dont la course sur route, la piste, mais aussi le trail et l’ultra-trail.

Derrière, certains sports comme l’haltérophilie (28 cas), le MMA (27) ou la lutte (20) affichent également des taux élevés. Le cyclisme compte 9 cas révélés sur cette période, un chiffre inférieur à d’autres disciplines contrairement à l’imaginaire collectif. Le triathlon, quant à lui, ne totalise “que” 4 cas sur la période, ce qui peut sembler faible, mais doit être interprété avec prudence. Un faible nombre de cas révélés ne signifie pas forcément une absence de dopage, mais peut aussi refléter des différences dans l’intensité et la fréquence des contrôles.
Des chiffres vraiment si bas ?
Les chiffres de Ulrich et al., 2018
Cependant, les contrôles antidopage, même sophistiqués, ne peuvent pas couvrir l’ensemble des athlètes, des compétitions et des périodes d’entraînement. Ils sont donc limités par la sensibilité des tests et par la courte fenêtre de détection de certaines substances. Certains sportifs invoquent d’ailleurs la thèse de la « contamination involontaire » lorsqu’une faible concentration d’une substance interdite est détectée. Ils avancent alors que la présence résulterait d’une ingestion accidentelle, par exemple via un complément alimentaire contaminé, un médicament mal étiqueté ou une exposition environnementale.
Pour estimer plus précisément la prévalence du dopage dans le sport, Ulrich et al. (2018) ont utilisé des méthodes indirectes, notamment des enquêtes anonymes menées lors de grands championnats internationaux. Ils ont également eu recours à une approche statistique visant à limiter le biais de désirabilité sociale. Selon leurs résultats, entre 14 et 39 % des athlètes de haut niveau déclareraient avoir eu recours au dopage au cours de leur carrière. Lors des championnats du monde d’athlétisme 2011 et 2013, une enquête confidentielle aurait révélé que jusqu’à 43,6 % des répondants auraient utilisé des substances ou méthodes interdites dans l’année précédente.
Une confirmation des découvertes de de Hon et al., 2014
Des chiffres similaires ont été rapportés par de Hon et al. (2014), qui ont appliqué la Randomized Response Technique auprès de plus de 2 000 athlètes allemands. Cette méthode, similaire à celle de Ulrich et al., 2018, est conçue pour réduire l’autocensure. Elle a estimé qu’entre 26 % et 48 % des participants auraient eu recours au dopage au cours des 12 derniers mois, selon la définition retenue. Ces résultats, proches de ceux d’Ulrich et al., confirment que les données issues des contrôles positifs ne représentent probablement que la partie émergée de l’iceberg.
Ces estimations soulignent que l’athlétisme pourrait figurer parmi les disciplines les plus touchées. Reste à savoir si, au sein de la grande famille de pratiques qu’est l’athlétisme, le trail est aussi touché que d’autres disciplines.
La méta-analyse de Gleaves et al., 2022
Pour compléter les estimations d’Ulrich et al. (2018), Gleaves et al. (2021) ont conduit une revue systématique et une méta-analyse. Cette dernière vise à synthétiser les données disponibles sur la prévalence du dopage dans le sport. Leur analyse a porté sur 105 études publiées, couvrant une grande variété de disciplines, de niveaux de pratique et de méthodes d’estimation.
Les auteurs soulignent que les estimations varient considérablement selon les approches utilisées. Ces dernières peuvent aller de 0 % à plus de 70 % dans les études examinées. Cette amplitude s’explique par des définitions hétérogènes du dopage, des périodes de référence différentes (usage au cours de la carrière vs sur l’année écoulée), et des méthodes de collecte contrastées (p. ex. contrôles biologiques vs. auto-déclarations directes).
Parmi les tendances générales, la revue met en évidence que les contrôles antidopage classiques détectent une proportion relativement faible de cas (souvent < 2 %), en raison notamment de la fenêtre de détection limitée et des stratégies d’évitement utilisées par certains athlètes. En revanche, les méthodes indirectes et anonymisées produisent des estimations nettement plus élevées, parfois supérieures à 20-30 %. Selon ces auteurs, certaines disciplines à forte intensité physique ou à enjeux compétitifs élevés pourraient afficher des prévalences plus importantes, même si la comparaison inter-sports reste délicate.

Cette étude rappelle que les chiffres issus des affaires médiatisées et des contrôles positifs ne reflètent probablement qu’une partie de la réalité, et que l’ampleur réelle du dopage demeure difficile à établir avec précision.
Et dans le trail ?
À ce jour, nous ne disposons pas encore de données robustes et spécifiques permettant d’estimer avec précision la prévalence du dopage en trail et ultra-trail. Les rares affaires médiatisées et les quelques contrôles positifs ne suffisent pas à dresser un panorama fiable de la situation. Pour autant, à l’instar d’autres disciplines, cette pratique n’est pas exempte de comportements que l’on peut qualifier de déviants. Bien qu’ils ne correspondent pas toujours à la définition stricte du dopage au sens du Code mondial antidopage, ils méritent, à mon sens, d’être discuté.
Ces comportements sont regroupés sous le terme de conduites dopantes. Ils constituent une zone grise. Ils peuvent impliquer l’usage de substances ou de méthodes autorisées mais à des doses, dans des contextes ou avec des objectifs qui posent question. S’ils ne sont pas toujours sanctionnables, ni sanctionnés, ils demeurent préoccupants au regard des risques potentiels pour la santé et de leur impact sur l’éthique et l’équité sportive.
Les conduites dopantes dans le trail
Définition des conduites dopantes
Les conduites dopantes désignent la consommation d’un produit ou l’utilisation d’une méthode visant à franchir un obstacle, réel ou perçu, afin d’améliorer ses performances. Elles n’enfreignent pas les règles antidopage, car elles concernent des substances ou méthodes qui ne figurent pas sur la Liste des interdictions publiée par l’Agence mondiale antidopage.
Les conduites dopantes occupent ainsi un espace ambigu, une zone grise. Elles ne relèvent pas officiellement du dopage au sens du Code mondial antidopage, mais partagent avec lui des motivations et des logiques similaires. Les conduites dopantes ne se limitent pas au domaine sportif. Elles concernent aussi la vie quotidienne. Par exemple, boire des cafés après une mauvaise nuit, ou pour “tenir” lors d’une grosse journée de travail. Ces deux exemples constituent une conduite dopante au sens large, puisqu’il s’agit d’un usage volontaire d’une substance psychoactive pour améliorer temporairement ses performances.
La notion de conduite dopante est par nature floue. En théorie, on pourrait y inclure presque tout : boire un café pour surmonter la fatigue du matin, suivre une cure de magnésium face à une baisse d’énergie perçue, ou encore consommer un gel énergétique lors d’un entraînement difficile. Cette élasticité rend la catégorie utile pour sensibiliser, mais peu précise scientifiquement.
Caractéristiques principales des conduites dopantes et exemples
Les pratiques dopantes présentent plusieurs traits distinctifs du dopage, et sont pourtant trop souvent mélangées. Déjà elles ne sont pas interdites par le Code mondial antidopage. Elles peuvent donc être utilisées légalement en compétition comme à l’entraînement. Ensuite, leur impact sur la santé est variable. Nous allons en reparler par la suite, mais certaines peuvent être relativement sûres lorsqu’elles sont encadrées, tandis que d’autres exposent à des risques importants, surtout en cas d’usage répété ou de dosage excessif. Enfin, elles sont fréquentes aussi bien dans le sport amateur que dans le haut niveau, contrairement au dopage plus souvent présent chez les élites.
Le trail et l’ultra-trail offrent plusieurs illustrations de ces conduites dopantes. Parmi les plus répandues, on retrouve :
- La prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou de paracétamol pour masquer la douleur et continuer à courir malgré des signaux corporels.
- La consommation massive de caféine, au-delà des doses considérés comme “normales”, ou de celles considérées comme suffisante pour avoir des effets sur la performance.
- L’utilisation de compléments alimentaires tels que certains pré-workouts ou boosters pouvant contenir des substances à l’efficacité douteuse ou à la composition incertaine.
- Des protocoles de récupération extrêmes ou non validés scientifiquement, comme l’injection de fer sans indication médicale, pouvant entraîner des effets secondaires sérieux.
Comment sont détectées les conduites dopantes ?
À la différence du dopage, les conduites dopantes ne font l’objet d’aucun cadre réglementaire clair. Elles ne sont donc pas contrôlées de manière systématique. Leur dépistage repose aujourd’hui uniquement sur des initiatives locales, souvent mises en place par les organisateurs de courses.
Par exemple, le programme QUARTZ a mené des contrôles salivaires chez des athlètes élites à l’arrivée de l’UTMB 2021. Trois prélèvements distincts ont alors révélé la présence d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Cette substance était interdite par l’organisation. Cependant le nom des athlètes n’a pas été dévoilé et aucune sanction n’a été appliquée. De même, le programme Athletes for Transparency a montré, lors des Templiers 2024, que cinq athlètes sur dix testés après la course présentaient des traces d’AINS. Là encore, la course avait clairement indiqué que cette substance était interdite. Mais là encore aucun athlète n’a été sanctionné et les cas positifs sont restés anonymes.
Qui sont ces athlètes ayant consommé une substance interdite par le règlement de l’événement auquel ils ou elles participaient ? Cette consommation doit-elle ouvrir des questionnements sur d’autres pratiques plus graves ? Pourquoi ces événements n’ont-ils pas sanctionné les individus identifiés alors que leur règlement interdisait explicitement ces substances ? Toutes ces questions ont largement animé la communauté trail, mais il est probable qu’elles restent sans réponse.
Quoi qu’il en soit, ces initiatives montrent qu’il existe un usage réel de substances non interdites par le Code mondial antidopage mais potentiellement à risque. Dans la littérature, cet usage en trail, et surtout en ultra-trail, commence à être clairement documenté.
Prévalence des conduites dopantes en trail
Nieman et al. (2005)
Lors de la Western States, 60 finishers en moins de 30 heures ont accepté de participer à l’étude de Nieman et al. (2005). Des prélèvements sanguins ont été réalisés la veille et juste après la course, afin de mesurer les marqueurs de dommages musculaires.
Tous les participants ont montré des augmentations significatives de ces marqueurs. De manière intéressante, parmi cet échantillon, 72 % des ultra-traileurs avaient utilisé des AINS. Ces coureurs ont présenté des hausses encore plus marquées des marqueurs inflammatoires, sans réduction ni des symptômes, ni des dommages musculaires, ni de l’inconfort ressenti.
Bruso et al. (2010)
Lors de l’édition 2009 de la Western States Endurance Run, Bruso et al. (2010) ont documenté un cinq cas de rhabdomyolyse associée à une hyponatrémie. Ces troubles étaient survenus chez des participants hospitalisés peu après la course. Ils présentaient des douleurs musculaires intenses, une faiblesse généralisée et, pour certains, des signes de défaillance rénale.
Quatre de ces cinq athlètes ont admis avoir consommé des AINS pendant la course. Les auteurs soulignent que cette combinaison effort prolongé + déshydratation + prise d’AINS pourrait amplifié le risque de lésions musculaires sévères et de complications rénales. Cette étude illustre les conséquences graves de certaines conduites dopantes en ultra-endurance, même avec des substances non interdites par le Code mondial antidopage.
Rotunno et al. (2018)
L’étude de Rotunno et al. (2018), intégrée au programme SAFER (Strategies to reduce Adverse medical events For the ExerciseR), a analysé les données de 76 654 inscrits au semi-marathon (21,1 km) et à l’ultra-marathon (56 km) du Two Oceans Marathon (Afrique du Sud) entre 2012 et 2015. Les participants avaient complété un questionnaire médical en ligne avant la course, comprenant notamment des questions sur la consommation d’antalgiques et/ou d’anti-inflammatoires (AAIM). La fenêtre temporelle étudiée couvrait la semaine précédant l’épreuve et la course elle-même.
Les résultats montrent que 12,2 % des coureurs déclaraient avoir utilisé ces médicaments, avec une prévalence plus élevée sur 56 km (18,6 %) que sur 21,1 km (8,3 %). Les AINS constituaient la classe la plus consommée, suivis par le paracétamol. Cette consommation était plus fréquente dans la semaine précédant la course que pendant celle-ci, mais restait substantielle en compétition (5,3 % au total, 9,2 % sur 56 km).
Les auteurs soulignent que l’usage d’AAIM, même hors liste antidopage, demeure préoccupant en raison des risques documentés en endurance (déjà abordés dans une autre section de cet article). Ils recommandent la mise en place de programmes de dépistage et d’éducation pré-compétition pour limiter ces pratiques et favoriser des courses plus sûres.
Andre et al. (2020)
L’étude de Andre et al., (2020) s’est intéressée à la consommation d’AINS lors d’ultra-trails. Les auteurs ont recueilli des données par questionnaires auprès de participants à la 6000D.
Au total, 24% des coureurs déclaraient avoir consommé des AINS dans les 72 heures avant le départ ou pendant la course. Cette prévalence variait selon la distance, la course et le profil des participants, mais confirmait une utilisation notable. Les molécules les plus citées étaient l’ibuprofène et le kétoprofène, principalement pour gérer la douleur ou anticiper l’apparition de gênes physiques.

Les auteurs rappellent que, malgré leur disponibilité libre et leur absence de statut “dopant”, les AINS présentent des risques documentés en contexte d’ultra-endurance.
Marschal et al. (2023)
Lors de l’édition 2021 de l’UTMB, Mashal et ses collègues ont évalué la prévalence d’AINS et de paracétamol chez 81 coureurs grâce à une approche comparative entre trois méthodes. Ils ont comparé l’analyse directe sur sang total séché, l’analyse sur fluide oral, et un questionnaire.

Les résultats montrent que la prévalence de consommation d’AINS variait selon la méthode : 46,6 % de consommation avec le DBS contre 18,5 % avec le fluide oral et seulement 13,8 % selon les déclarations. Pour le paracétamol, les prévalences étaient respectivement de 30,1 %, 30,9 % et 22,5 %. Ces écarts confirment que les déclarations auto-rapportées sous-estiment probablement l’usage réel de ces substances.
Robach et al. (2024)
Je vous propose de terminer avec l’étude de Robach et al., (2024) que je trouve exceptionnelle. Les auteurs ont mis en place une collecte urinaire individuelle “aveugle”, via des urinoirs automatiques placés près de la ligne de départ des courses de l’UTMB 2017 (OCC, CCC, TDS, UTMB). Les échantillons étaient liés à un tag RFID (pour récupérer des données démographiques anonymisées) mais restaient non traçables.
Au total, 412 échantillons ont été analysés dans deux laboratoires accrédités AMA, avec un criblage large (≈600 substances) incluant produits autorisés (p. ex. AINS, paracétamol) et interdits (p. ex. stimulants, glucocorticoïdes, diurétiques). En parallèle, 2 931 coureurs (femmes et hommes) ont répondu à un questionnaire anonymisé sur leur usage de médicaments autour de la course.

Résultats
Les résultats ont montré que près d’un échantillon sur deux contenait au moins une substance (49,8 %) et un sur six contenait au moins une substance interdite (16,3 %). Parmi les molécules détectées on retrouve :
- AINS 22,1 %.
- Paracétamol 15,5 %.
- Opioïdes 6,6 %.
- Diurétiques 4,9 %.
- Hypnotiques 4,4 %.
- Glucocorticoïdes 2,7 %.
- β2-agonistes 2,2 %.
- Cannabinoïdes 1,9 %.
- Bêtabloquants 1,7 %.
- Stimulants 1,2 %.
Aucune association significative entre la présence de substances et le classement, l’abandon ou la difficulté de la course n’a été mise en évidence. En miroir, le questionnaire rapportait des usages plus faibles pour les produits autorisés (paracétamol 13,6 %, AINS 12,9 %) et aucun usage déclaré de substances interdites, ce qui contraste avec les analyses d’urines, qui suggère une sous-déclaration.

Ces résultats soulignent la large diffusion d’un usage thérapeutique ou prophylactique de médicaments autorisés en ultra-endurance compatible avec des conduites dopantes telles que nous les avons définies. De plus, le fait que 16,3 % des échantillons contiennent au moins une substance interdite demeure préoccupant. En effet, en cas de contrôle officiel, ces athlètes auraient été exposés à une sanction.

Conclusion – Le dopage en trail
Malgré son image d’authenticité et de proximité avec la nature, la discipline a déjà connu des cas avérés (p. ex. EPO, heptaminol), et des situations controversées. Si les contrôles officiels révèlent peu de cas (souvent moins de 2 % d’athlètes positifs), cette faible proportion reflète surtout la rareté des contrôles, la courte fenêtre de détection et la capacité de certains athlètes à contourner le système (p. ex. plaidoirie en faveur d’une contamination accidentelle).
Les travaux de Ulrich et al. (2018) et de Hon et al. (2014) estiment qu’entre 14 et 48 % des athlètes de haut niveau auraient eu recours au dopage, contre seulement quelques pourcents détectés par les tests. Plus récemment, Robach et al. (2024) ont montré que 16,3 % des coureurs de l’UTMB présentaient dans leurs urines au moins une substance interdite… alors que 0 % l’avaient déclaré dans les questionnaires.
Au-delà des produits interdits, les recherches montrent une consommation massive de médicaments autorisés mais à risque. Par exemple, 72 % des finishers de la Western States (Nieman et al., 2005) avaient pris des AINS pendant la course dans les années 2000. Similairement, jusqu’à 42% des coureurs de l’UTMB 2021 aurait consommé une substance non-listée dans la liste des interdictions officielles, mais tout de même à risque pour la santé, alors que seulement 13,8 % des participaient admettaient cette consommation. Il ne faut pas oublier que ces pratiques peuvent provoquer des complications sérieuses (p. ex. rhabdomyolyse, insuffisance rénale).
Ignorer ces chiffres reviendrait à accepter que la performance prime sur la santé et l’équité. Le trail a les moyens d’agir avant que ces dérives ne s’ancrent durablement avec par exemple l’éducation des athlètes, la clarification des règlements, des contrôles plus fréquents et transparents. Personnellement, je m’interroge sur le moment où ces actions seront enfin mises en place concrètement.
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Partie 2 – Mon interview d’une experte – Katia Collomp
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Références bibliographiques
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