La foulée en trail et course à pied – Tout savoirTemps de lecture estimé : 18 minutes

Couverture de l'article sur la foulée en trail et en course à pied

Le mythe de la foulée parfaite

Différents acteurs du monde du trail et de la course à pied (p. ex. marques, organisme de formation) ont réussi à travers le temps à créer le mythe de la foulée parfaite en trail et running. Celle-ci serait constituée de la meilleure pose de pied possible, de la meilleure fréquence de pas, de la meilleure longueur de foulée, etc … Cette foulée parfaite vous promettrez une moindre occurence des blessures, ou encore de meilleures performances. Mais courir n’est-elle pas l’activité la plus naturelle qui soit ? Si nous sommes réellement “fait pour courir”, faut-il vraiment à ce point conscientisé ce mouvement si inné ?  Est-ce que la littérature scientifique confirme réellement les allégations concernant la “foulée parfaite” ? Comme souvent, la réponse n’est ni toute noire, ni toute blanche ! Allons explorer ensemble cette zone de gris, en nous appuyant sur les évidences scientifiques les plus récentes, et les plus robustes.

La foulée en course à pied et en trail – van Oeveren et al. 2021

Historiquement, plusieurs auteurs ont tenté de déterminer des foulées, ou des patterns de course. On connaît tous la dichotomie “attaque arrière-pied ou “attaque avant-pied”. Autour de 2015, Cyrille Gindre et son équipe avaient proposé les foulées aériennes et terriennes. Malheureusement, ces dernières ont fait preuve de peu de validation scientifique, et peu d’investigation par la suite. En 2021, van Oerven et al. ont voulu aller plus loin, et caractériser le plus efficacement possible les différentes foulées existantes.

Ces auteurs définissent une foulée, aussi appelée style de course, comme “un pattern de mouvement visuellement distinctif chez un coureur”. Ce pattern est identifiable par de nombreux paramètres, comme la fréquence de pas, la longueur de pas, ou encore l’attaque du pied au sol. Le croisement de tous ces paramètres peut aboutir à une immense quantité de foulées, ou de style de course, différents. En d’autres termes, il y aurait autant de style de course, que d’athlètes. Néanmoins, tous les paramètres d’une foulée n’ont pas la même importance. En s’intéressant seulement aux plus cruciaux, pour les blessures et l’économie de course par exemple, il est possible d’identifier un nombre réduit de styles de course, de foulées.

Les principaux paramètres utilisés pour caractériser une foulée sont, d’après ces auteurs :

  • la fréquence des pas.
  • la longueur des pas. Avec la fréquence des pas, la longueur détermine la vitesse de la personne.
  • le temps d’appui au sol.
  • le temps en vol.
  • le déplacement vertical (c.-à-d. la hauteur).
  • la rigidité verticale.
  • la position de la jambe lors du contact.

La fréquence de pas en trail et running, un paramètre clé ?

L’illusion des 180 pas par minutes

Selon van Oeveren et al., (2021), il est souvent conseillé aux coureurs de courir à 180 pas par minute. Or la fréquence de pas dépend elle-même directement de nombreux paramètres, dont le temps de contact au sol, et le temps en vol. De plus, cette recommandation ne prend pas en compte la vitesse de course, qui elle aussi influence la fréquence de pas. Par exemple, des travaux ont montré qu’à mesure que la vitesse augmente, la longueur des pas augmente plus vite que la fréquence de pas en dessous de 20km/h. Au-dessus de 20km/h, c’est l’inverse ! La fréquence de pas augmente plus vite que la longueur. Une haute fréquence de pas à basses vitesses révélerait une faiblesse musculaire au niveau des mollets, et une préférence pour l’utilisation des extenseurs de hanche (Dorn et al., 2012).

180 pas par minutes et performance

De plus, cette recommandation proviendrait du fait que les meilleurs athlètes courent avec des fréquences de pas élevées. Cependant, les évidences soutenant ce constant ne sont pas si tranchées. Par exemple, des travaux avec de nombreux participants ont montré des fréquences de pas plus basses chez les athlètes entraînés et marathoniens élites que chez des coureurs amateurs (environ -10 pas par minute). De même, une étude a montré que la fréquence de pas était plus liée à la longueur des jambes, la masse corporelle et l’âge, qu’à la performance elle-même. En résumé, ces résultats suggèrent que les élites sont susceptibles de courir avec une fréquence plus faible que les amateurs, contrairement à ce qui est parfois avancé.

180 pas par minutes et blessures

Enfin, le mythe des 180 pas par minute viendrait d’une éventuelle prévention des blessures. Or, la relation entre ces deux paramètres ne serait pas si directe. Des études ont identifié une relation entre la fréquence de pas, et des variables potentiellement prédicatrices des blessures. Par exemple, une basse fréquence serait associée à des impacts au sol plus marqués, des contraintes articulaires plus fortes, et des mouvements des membres (p. ex. tibia) plus rapides. À ce jour une seule étude a démontré une relation directe significative entre la fréquence de pas, et le risque de blessure lui-même. Parallèlement, une étude sur près de 300 personnes n’a trouvé aucune relation entre la fréquence de pas et les blessures, ni la performance (Van Oeveren et al., 2021). Comme vous allez le voir plus tard, le postulat d’une fréquence protectrice des blessures repose lui aussi sur peu d’évidences. 

Le temps de contact et le temps de vol

van Oeveren et al., (2021) avancent que le temps de contact au sol est également un paramètre clé de la foulée. En course à pied sur sol plat, ce temps diminue à mesure que la vitesse augmente. Pour les vitesses entre 8km/h et 20km/h, ce temps est généralement compris entre 0.34 seconde, et 0.18 seconde. Différents travaux ont montré que plus ce temps était court, plus l’économie de course et la performance étaient hautes. En trail, lorsque le terrain monte ou descend, ce temps de contact peut considérablement changer.

D’après ces mêmes auteurs, en course à pied sur sol plat, le temps de vol serait le critère le plus discriminant entre un coureur élite, et un coureur amateur. Les meilleurs athlètes démontreraient un temps de vol plus long que ceux de niveaux moins élevés. Dans la même fourchette de vitesse que précédemment, le temps de vol serait généralement compris entre 0.1 et 0.15ms. Il est donc plus court que le temps de contact au sol. Ici encore, en trail, ce temps de vol en montée et en descente variera énormément en fonction du terrain, de la pente, etc.

Le déplacement vertical, soit la hauteur

À plat, le centre de gravité d’une coureuse ou d’un coureur se déplace de 6 à 10cm. Il est parfois suggéré que ce déplacement vertical doit être minimisé pour éviter un effort inutile contre la gravité, et pour limiter la force de l’impact au sol. Cependant, ces suggestions ne semblent pas supportées par la littérature. En effet, une hauteur verticale de déplacement plus grande s’accompagne d’une plus grande énergie élastique restituée lors de la pose du pied, à la propulsion. En d’autres termes, cette faible augmentation de dépense énergétique pour aller plus haut à chaque pas serait compensée par un retour d’énergie plus marqué à la pose (van Oerven et al., 2021). Aussi, minimiser cette hauteur ne semble pas un critère crucial à considérer (du moment que celle-ci ne s’écarte pas trop de la norme).

La rigidité verticale

Pour finir sur les paramètres des la foulée, parlons de cette rigidité verticale. L’élasticité du complexe muscle-tendon jour un rôle crucial dans l’efficacité de la course. Comme un ressort, elle permet de restituer l’énergie accumulée pendant la phase de vol. Pour une même rigidité, un temps de vol long, une hauteur de vol marquée et un temps de contact court (p. ex. foulée “bondissante”), aboutiront à une plus grande restitution d’énergie qu’un temps de vol court, une faible hauteur de vol et un temps de contact long (p. ex. foulée “rasante”).

Aussi, la recommandation de réduire la hauteur verticale peut être questionnée, puisqu’elle limitera ce retour d’énergie élastique, c’est-à-dire une énergie qui engendre du mouvement “gratuitement”. Enfin, cette rigidité verticale étant dépendante de plusieurs paramètres, dont la force maximale, elle serait entraînable.

La position de la jambe lors du contact

La position de la jambe lors du contact au sol dépend de l’angle des articulations de la hanche, du genou, et de la cheville. À la pose, l’angle d’ouverture de la hanche peut être plus ou moins fermé. Ainsi, la jambe peut être proche (c.-à-d. angle fermé, bonhomme A et B ci-dessous) ou éloigné (c.-à-d. angle ouvert, bonhomme C et D) du tronc. De même, le genou peut être ouvert (c.-à-d. jambe tendue, bonhomme B et D) ou fermé (c.-à-d. jambe légèrement pliée, bonhomme A et C).

Enfin, tous les angles peuvent être ouverts (bonhomme E). Selon van Oeverven et al. (2021) la flexion de la cheville (donc l’attaque arrière-pied ou avant-pied) dépendra beaucoup de l’ouverture du genou. Si l’angle de celui-ci est ouvert (jambe tendue vers l’avant), la cheville sera plus facilement fermée (c.-à-d. attaque arrière-pied). S’il est fermé (jambe posée proche du tronc), la cheville sera plus facilement ouverte (c.-à-d. attaque avant-pied).

Figure d’illustration issue de van Oerven et al. (2021). Aucune modification appliquée.

 

Les styles de course dans un modèle en 2 axes

L’objectif de van Oerven et al. (2021) est de proposer un modèle simple permettant de résumer les différents styles de courses existants. Comme discuté précédemment, une foulée peut être caractérisée par au moins 7 paramètres différents. Cependant, selon ces auteurs, 2 (voire 3) sont d’une importance cruciale, et suffisent. Ils proposent de regrouper ces paramètres dans un graphique en deux axes, avec 4 extrêmes.

Deux axes pour caractériser une foulée

Le premier axe correspond à la fréquence de pas, ou la longueur des pas. En effet, à une vitesse donnée ces derniers sont parfaitement corrélés et interchangeables. Si à 10km/h vous avez une haute fréquence de pas, alors votre amplitude est faible. Si à 10km/h vous avez une grande longueur de pas, votre fréquence est forcément basse. Ce paramètre “fréquence de pas” représenterait dans la simplification que proposent ces auteurs, l’axe horizontal, avec deux pôles, deux extrêmes.

Dans un second temps, van Oerven et al. (2021) proposent d’utiliser l’axe vertical pour parler de l’utilisation de l’énergie élastique. Celui-ci permettrait donc de différencier les athlètes utilisant fortement leur énergie élastique, de ceux l’utilisant peu. En d’autres termes, de diviser les athlètes entre ceux qui rebondissent fortement, et ceux rebondissant peu, voire pas du tout.

En résumé, ce modèle propose de caractériser la foulée d’une personne dans un modèle en 2 axes, un vertical et un horizontal. Celui horizontal renvoie à la fréquence des pas (ou la longueur, qui y est fortement liée). Il est donc indirectement lié à l’angle de propulsion lors de la poussée, à savoir plutôt vers l’avant, ou plutôt vers le haut. L’axe vertical renvoie à l’aspect rebondissant de la foulée, ou non. Il fait donc référence à l’énergie à l’origine de cette poussée. Celle-ci peut provenir majoritairement des structures élastiques, en rebondissant, ou non, en “déroulant” plus.

Les différentes foulées possibles

La foulée “Hop”

À l’extrémité gauche de l’axe horizontal se trouve ce que van Oerven et al. (2021) appellent la foulée “Hop”. Elle renvoie à des coureuses et coureurs avec une haute fréquence de pas, et de petites longueurs. Pendant la phase de propulsion, l’énergie est dirigée verticalement, et peu horizontalement. Le temps de vol n’est pas optimal, car la poussée est trop orientée vers le haut. La jambe est posée proche du tronc, le genou peu tendu, et la cheville plutôt ouverte (c.-à-d. pose avant-pied).

En résumé, la foulée “Hop” c’est : faible longueur de pas et haute fréquence.

La foulée “Appuyée”

À l’extrémité droite de l’axe horizontal se trouve l’opposé de la foulée “Hop”, la foulée “Appuyée”. Elle se caractérise par des pas de grande longueur, et une fréquence basse. Le temps de vol n’est pas optimal, car la poussée est cette fois trop orientée vers l’avant. Le buste est lui aussi incliné vers l’avant. La jambe est posée proche du pied. Les angles de la hanche, du genou, et du pied sont plutôt fermés (c.-à-d. pose talon).

En résumé, la foulée “Appuyée” c’est : haute longueur de pas, basse fréquence.

La foulée “Bondissante”

À l’extrémité verticale haute du modèle de ces auteurs proposent se trouve la foulée dite “Bondissante”. Elle renvoie à une utilisation maximale de l’énergie élastique. Les coureuses et coureurs avec ce pattern de foulée démontreront un temps de vol long, et une phase d’appui courte. La jambe est posée proche du tronc, les angles de la hanche et du genou sont fermés. Celui de la cheville est plutôt ouvert (c.-à-d. pose avant-pied).

En résumé, la foulée “Bondissante” c’est : faible temps de contact au sol, haut temps de vol.

La foulée “Bâton”

L’opposée de la foulée “Bondissante” est la foulée “Bâton”, en bas de l’axe vertical. C’est celle qui permet le moins d’utiliser d’énergie élastique. On pourrait parler d’un plus grand “déroulé du pied”. Les athlètes avec ce pattern auraient un temps de contact au sol long, et un temps de vol plutôt court. Avec cette foulée, le pied est posé loin du tronc. Les angles de la hanche et du genou sont ouverts. Celui de la cheville est plutôt fermé (c.-à-d. pose talon). Cette foulée serait proche de la marche.

En résumé, la foulée appuyée c’est : long temps de contact au sol, faible temps de vol.

La foulée “Assise”

Au milieu de ces deux axes et de toutes ces foulées se trouve la foulée dite “Assise”. Elle renvoie à des coureurs avec une longueur et une fréquence de pas moyenne, et une restitution d’énergie moyenne. À la pose du pied, l’angle de leur hanche serait ouvert, et celui du genou et de la cheville plutôt fermé. Le trailer qui me vient en tête immédiatement en lisant ce style est Ludovic Pommeret, mais je peux avoir mal analysé sa foulée.

Évidemment cette proposition n’est qu’une vulgarisation de la réalité. Au milieu de toutes ses combinaisons possibles, se trouve surtout votre foulée à vous, au croisement de ces extrêmes hypothétiques, et plutôt vers l’un que l’autre, sans jamais l’atteindre. L’objectif de ces auteurs n’est pas de mettre les athlètes dans des cases. Il est plutôt d’essayer de trouver de grands points de ressemblances entre des patterns de course, pour donner des conseils d’entraînement, et de prévention des blessures.

 

Les différents styles de courses dans le modèle en 2 axes de van Oerven et al. (2021). Adapté et traduit de van Oerven et al. (2021).

 

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Les blessures en trail et course à pied, une histoire de foulée ?

Maintenant que nous avons globalement en tête l’approche la plus contemporaine des différents styles de course possible, parlons des blessures. Car l’objectif primordial est là ! Le but de connaître ces grands patterns de course existants a été de déterminer si l’un ou l’autre est plus à risque de blessure. Et pour cette section, nous avons de la chance ! En effet, plusieurs d’études se sont intéressées aux relations potentielles entre, vulgairement, façon de courir, et blessure. Je vous propose de nous concentrer ci-dessous sur les évidences les plus robustes, et les plus récentes.

Adamson et al. (2024)

En 2024, Adamson et al. ont réalisé une revue de littérature avec quelques analyses statistiques pour investiguer la relation entre patterns de course, et blessures. En adhérant aux meilleures pratiques pour ce faire, les auteurs ont identifié 5 études assez robustes pour être considérées. La plupart de ces études comparaient les patterns de course entre des athlètes blessés et non-blessés. Lorsque cela était possible, elles allaient plus loin en évaluant si un type de foulée était associée à un type de blessure en particulier (p. ex. nature de la blessure ? Localisation ?).

La plupart des études incluses, à savoir 4 sur 5, n’ont identifiées aucune relation significative entre le pattern de course, soit le type de foulée ; et le nombre de blessures, la localisation des blessures, et le type de blessure. Les auteurs concluent que, avec les preuves actuelles, les blessures liées à la course à pied peuvent découler de manière égale, quel que soit le pattern de course adopté par les coureuses, et les coureurs. En d’autres termes, les blessures liées à la course à pied étaient distribuées aléatoirement à travers tous les sous-groupes de patterns de course considérés dans ces études.

Burke et al. (2021)

En 2021, Burke et al. avaient déjà réalisé un travail similaire. Cependant, il avait utilisé une classification des foulées plus ancienne, à savoir “avant-pied” vs. “milieu-pied” vs. “arrière-pied”. Leur revue de littérature proposait des critères de sélection plus souple que Adamson et al. (2024). Elle intègre donc plus d’étude que ces derniers, mais de qualité parfois un peu moins élevée. Cette équipe a identifié 13 études intéressantes à résumer. Une partie de ces dernières comparaient les patterns de course des athlètes blessés et non-blessés inclus. Une autre partie (plus rare) évaluait le pattern de course avant blessure, et suivait les athlètes sur plusieurs mois. Cela permettait d’évaluer si un pattern de course est a priori plus à risque qu’un autre.

Parmi ces 13 expérimentations, 3 seulement ont trouvé une prévalence plus importante des blessures chez les personnes attaquant arrière-pied, que chez ceux attaquant milieu-pied ou avant-pied. Les auteurs soulignent aussi que parmi ces 3 expérimentations, 1 présentait un risque de biais modéré (c.-à-d. était de moindre qualité). Cette équipe conclue les preuves d’une relation entre le pattern de cours et le risque de blessure en course à pied sont très minces, voire nulles. De plus, ils mettent en garde sur la faible qualité des rares études ayant mis en évidence une telle relation, les plus robustes n’en trouvant, quant à elle, aucune.

Lopes et al. (2023)

La méta-analyse de Lopes et al. (2023) est un peu plus générale que les deux revues mentionnées précédemment. Ces auteurs ne sont pas intéressés spécifiquement à la foulée comme facteur prédisant, ou non, les blessures. Ils ont évalué si un paramètre de la course à pied pouvait augmenter les risques de blessure. Parmi ces paramètres, ils se sont intéressés par exemple au pattern de course, mais aussi aux activations musculaires, ou encore aux zones de pression au sol. Avec cette envie de répondre à une question très large, les auteurs ont identifié 51 études. Comme la précédente, ces dernières comparaient les paramètres entre des coureurs blessés ou non blessés, ou entre des coureurs ayant été blessés et d’autres ne l’ayant pas été. Enfin, elles pouvaient aussi suivre les athlètes sur une certaine période jusqu’à l’apparition (éventuelle) d’une blessure.

Parmi les 10 paramètres de la course à pied analysés statistiquement, un seul a démontré une relation significative avec les blessures. Les coureurs avec un angle de la hanche prononcée en adduction (donc vulgairement, avec les jambes qui rentrent beaucoup vers le centre du bassin à chaque pas) se blessaient plus que les autres. Cependant, les auteurs appellent à la prudence quant à ce résultat. En effet, ce dernier était fortement influencé par 2 études de la même équipe de chercheurs, et ne se retrouvait pas dans d’autres expériences sur le même sujet.

Anderson et al. (2019)

Les conclusions de ces deux revues de littérature sont confirmées par la méta-analyse de Anderson et al., 2019. En grande partie similaires aux travaux mentionnés précédemment, ces auteurs ont regroupé 53 études. Leurs analyses ont révélé que les coureurs avec une foulée arrière-pied ne démontraient pas plus de blessures de “stress répété” (p. ex. tendinopathies) que ceux attaquants avant-pied. Ce résultat était valable à différentes vitesses de course (p. ex. entre 10 et 11km/h et entre 14 et 15km/h).

Un simple déplacement des contraintes

Contrairement à une idée largement répandue, le pattern de course ou le type de foulée, n’influence pas les risques de blessure. Les études ci-dessus le soulignent, et viennent compléter les propos de van Oerven et al. (2021). D’autres auteurs ont avancé une hypothèse explicative. Par exemple, Xu et al., (2021) soulignent dans leur méta-analyse que deux foulées différentes vont changer la localisation des contraintes mécaniques, mais pas leur ampleur ni le risque de blessure. Leurs analyses révèlent que les coureurs attaquants avant-pied démontre des contraintes mécaniques prononcées sur l’articulation des chevilles, sur les pieds, et sur les tendons d’Achille. Ceux attaquants arrière-pied ont quant à eux des contraintes plus localisées au niveau des genoux, et des hanches. En résumé, les contraintes sont les mêmes, mais ne sont pas localisées aux mêmes endroits. Ainsi, les risques de blessure sont équivalents entre des foulées différentes.

 

Quand la foulée change !

Changer volontairement sa foulée – Le cas de la blessure.

Comme nous l’avons dit jusqu’ici, aucun pattern de course, et pour aller plus loin aucun paramètre lié au mouvement en course à pied, ne semble favoriser les blessures. Avec ces évidences scientifiques en main, il semble donc inutile de vouloir changer sa foulée. Cependant, il existe une situation particulière ou chercher à modifier volontairement son pattern de course pourrait être intéressant. C’est celle de la blessure. En vulgarisant, et pour une blessure chronique (p. ex. tendinopathie), la personne est dans une situation où les contraintes appliquées ont dépassé ce que le corps pouvait supporter. Dans ce cas-là, il pourrait être intéressant d’essayer de changer les contraintes, en modifiant la foulée. Mais pas n’importe comment ! En cas de blessure, la littérature s’est surtout intéressée aux effets d’une augmentation de la fréquence de pas. Les évidences sont timides, mais présentes ! Voyons cela.

Anderson et al. (2022)

En 2022, Anderson et al. ont conduit une méta-analyse de 37 études. Ces dernières comparaient les effets de l’augmentation de la fréquence de pas comprise entre 5 et 15% sur différents paramètres biomécaniques, et sur des corrélats des blessures. Leurs analyses ont montré de nombreux effets de cette augmentation dans la fréquence des pas. Par exemple, 10% à 15% de pas en plus diminuaient la longueur des pas, réduisaient l’angle de la cheville à la pose du pied, et celui du genou ; ou encore augmentait le temps de contact au sol. De plus, bien que seulement 2 études permettent de conclure, les résultats ont révélé qu’augmenter sa fréquence de pas d’environ 10% augmentait la distance qu’un coureur en retour de blessure arrivait à courir par semaine, et diminuait les douleurs. Ces résultats étaient significatifs à +4 et +12 semaines après blessure.

La méta-analyse de Doyle et al. publiée la même année est venue modérer les propos d’Anderson et al. (2022) sur les paramètres mécaniques de la course. En effet, leurs résultats avancent que le seul paramètre qui change réellement après une intervention visant à augmenter la fréquence des pas est … la fréquence des pas elle-même. Si ces conclusions ne remettent pas en cause les résultats de Anderson et al. (2022), elles appellent au moins à un peu de prudence quant à ces dernières. Changer la fréquence des pas en cas de blessure pourrait être intéressant, mais peut être pas si miracle que parfois avancé.

 

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Changer involontairement sa foulée – Le cas de l’ultra-endurance

Si la foulée est parfois considérée comme une caractéristique fixe chez un athlète, il n’en est rien. Sur course sur route, avec la fatigue s’installant et au fil des kilomètres, des travaux ont montré que le pattern de course évoluait. De même, en ultra-trail, si ce dernier varie beaucoup en fonction du terrain, il varierait légèrement à mesure que la durée de l’épreuve augmente. Voyons cette partie de la littérature !

La méta-analyse Bovalino et Kingsley (2021)

La méta-analyse de Bovalino et Kingsley (2021) s’est intéressée à l’évolution de la foulée au cours de l’effort. Ils ont regroupé 12 études de haute qualité. Ces dernières évaluaient toutes comment la foulée de coureuses et coureurs changeait au cours d’une course de longue distance. Les distances des courses examinées dans ces études allaient de 10km à 161km. Les expérimentations mesuraient toutes la foulée au moins deux fois (début et fin de la course), parfois 3 fois, et parfois plus.

Les résultats de cette méta-analyse ont révélé, premièrement, qu’au début des courses 80% des athlètes avaient une foulée dite “arrière-pied”. À la fin des courses, 86% des personnes avaient une foulée arrière-pied. Deuxièmement, les analyses ont révélé que 11% des coureuses et coureurs changeaient significativement de foulée durant la course. Parmi ces 11%, 84% passaient d’une foulée avant-pied à une foulée arrière-pied.

Le cas de l’ultra-trail

En ultra-trail, les évidences concernant le changement de foulée au cours de la course semblent mitigées. En 2014, Kasmer et al., ont observé la foulée de 191 à 373 athlètes engagés sur un ultra-trail de 161km, la Western States Endurance. Des caméras étaient placées aux kilomètres 16, 90, et 161. Leurs résultats ont révélé qu’il y avait une légère augmentation du nombre de personnes attaquant arrière-pied entre le km 16 et 90 (80% contre 89%, soit +9%).

Cependant, il y avait une diminution de ce pourcentage entre le km 90 et 161 (89% contre 84%, soit -5%). Les auteurs ont aussi trouvé une légère diminution de la fréquence de pas, sans changement significatif dans leur longueur. Les meilleurs finishers semblaient légèrement plus attaqué avant-pied à l’arrivée que les finishers plus lents. Enfin, ceux attaquant le plus avant-pied durant la course démontrait un peu plus de marqueurs inflammatoires que ceux attaquant arrière-pied. Ces résultats soulignent donc, en moyenne, de légers et rares changements de foulée durant un ultra-trail.

Giandolini et al. avaient publié en 2013 une étude similaire, menée durant l’UTMB 2012 (104km – 5800m D+). Leurs analyses avaient révélé que 88% des participants attaquaient arrière-pied au départ, et 91% à l’arrivée, suggérant un moindre changement, en moyenne, de la foulée. Ils avaient aussi montré que la fréquence des pas augmentait significativement chez tout le monde entre le début et la fin de cet ultra-trail (+1% chez les femmes, +4% chez les hommes). Là aussi, les changements de foulée entre le début et la fin d’un ultra-trail semblent minimes. 

 

Conclusion – La foulée en trail et en course à pied

C’est quoi un pattern de course en trail et course à pied ?

Comme vous l’aurez compris à travers cet article, la foulée en course à pied et en trail est une question très large, et complexe. Une foulée, aussi appelée pattern de course ou style de course, est déterminée par au moins 7 paramètres. Il s’agit de la fréquence et la longueur des pas, le temps d’appui au sol, le temps de vol, le déplacement vertical et la rigidité verticale, et la position de la jambe au contact au sol. Tous ces paramètres n’auraient pas la même importance sur la caractérisation du pattern de course. van Oerven et al. (2021) proposent d’en utiliser entre 2 et 3 pour identifier 4 patterns extrêmes différents. Il s’agit de la foulée “hop”, la foulée “Appuyée”, la foulée “Rebond” et la foulée “Bâton”. 

Une foulée peut-elle prévenir les blessures ?

Parallèlement, le mythe de la foulée parfaite a longtemps été perpétué. Beaucoup de croyances entourent l’existence d’un pattern de course parfait, qui préviendrait les blessures et optimiserait les performances. Ici je me suis concentré sur l’aspect blessure. Force est de constater que, d’après la littérature, il n’en est rien ! À ce jour, aucune évidence ne permet de conclure clairement qu’une foulée est plus à risque de blessure qu’une autre. La seule différence notable entre les différents styles de courses existants semble être la localisation des contraintes (p. ex. plutôt à la cheville ou plutôt au genou). Néanmoins, la littérature a plutôt démontré à ce jour qu’en termes de risques de blessures, toutes les foulées se valent. 

La foulée peut changer !

Enfin, il faut garder en tête que la foulée change. D’une part, elle peut changer volontairement. Bien que les bénéfices d’un entraînement à une foulée différente, par exemple avec une plus haute fréquence, semblent aujourd’hui modestes, ils semblent exister. Ce type d’entraînement pourrait, en cas de blessure, faciliter le retour à la pratique et limiter les douleurs. D’autre part, durant une compétition, la foulée changerait aussi. Sur route, des études ont soulignaient que le pattern de course évoluait majoritairement vers une attaque arrière-pied.

En trail et en ultra-trail, les évidences semblent plus mitigées. Cela découle peut-être du temps passer à marcher, qui n’affecte pas la course, contrairement aux épreuves 100% courues, comme le marathon. En 2020, Vernillo et al. avançaient que la capacité à adapter naturellement sa foulée au terrain, et donc avoir dans chaque situation la meilleure technique de course était déterminante pour la performance en ultra-trail.

Cette conclusion découlait de leur étude, dans laquelle ils montraient qu’entraîner des athlètes à changer de foulée régulièrement et volontairement n’affectait pas leur pattern de course ultérieurement, en condition réelle. Peut-être qu’en trail, le secret de la foulée parfaite est là ! Le meilleur pattern de course ne serait-il pas celui qu’on adopte naturellement, de manière flexible, et en fonction des situations ? J’aime beaucoup l’expression “cours comme ça vient”, et je conclurais ce billet dessus. 

 

Vidéos associées à cet article

Vidéo 1 – Mes explications en vidéo

 

Vidéo 2 – Mon interview d’un expert, Guillaume Rao

 

Références bibliographiques

• Anderson, L. M., Martin, J. F., Barton, C. J., & Bonanno, D. R. (2022). What is the Effect of Changing Running Step Rate on Injury, Performance and Biomechanics? A Systematic Review and Meta-analysis. Sports medicine-open8(1), 112. (Lien).
• Anderson, L. M., Bonanno, D. R., Hart, H. F., & Barton, C. J. (2020). What are the benefits and risks associated with changing foot strike pattern during running? A systematic review and meta-analysis of injury, running economy, and biomechanics. Sports Medicine50, 885-917. (Lien).
• Bovalino, S. P., & Kingsley, M. I. (2021). Foot strike patterns during overground distance running: a systematic review and meta-analysis. Sports Medicine-Open7, 1-12. (Lien).
• Dorn, T. W., Schache, A. G., & Pandy, M. G. (2012). Muscular strategy shift in human running: dependence of running speed on hip and ankle muscle performance. Journal of Experimental Biology215(11), 1944-1956. (Lien).
• Doyle, E., Doyle, T. L., Bonacci, J., & Fuller, J. T. (2022). The effectiveness of gait retraining on running kinematics, kinetics, performance, pain, and injury in distance runners: a systematic review with meta-analysis. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy52(4), 192-A5. (Lien).
• Giandolini, M., Gimenez, P., Millet, G. Y., Morin, J. B., & Samozino, P. (2013). Consequences of an ultra-trail on impact and lower limb kinematics in male and female runners. Footwear Science5(sup1), S14-S15. (Lien)
•Lopes, A. D., Mascarinas, A., & Hespanhol, L. (2023). Are alterations in running biomechanics associated with running injuries? A systematic review with meta-analysis. Brazilian Journal of Physical Therapy, 100538. (Lien).
• Van Oeveren, Ben T., et al. “The biomechanics of running and running styles: a synthesis.” Sports biomechanics (2021): 1-39. (Lien).
• Xu, Y., Yuan, P., Wang, R., Wang, D., Liu, J., & Zhou, H. (2021). Effects of foot strike techniques on running biomechanics: a systematic review and meta-analysis. Sports Health13(1), 71-77. (Lien).

Cyril Forestier

Trailer passionné 🏃🏻‍♂️ et docteur en science du mouvement humain (STAPS) 👨‍🔬 , je décrypte la littérature scientifique pour mieux comprendre notre pratique. Je rédige des articles afin de vulgariser des études, de vous partager mes tests matériels ou encore de vous communiquer ce qui me motive, tout ça dans le but de courir mieux ! Des réponses à vos questions se trouvent surement dans mes articles 😉.

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