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L’entraînement de Kilian Jornet est passionnant à analyser, mais peut-on le reproduire ? Je vous explique pourquoi non !

Crédit photo : Johann Conus à Sierre-Zinal

Faut-il reproduire l’entraînement de Kilian Jornet pour performer ?

Lorsqu’on parle d’entraînement en trail, un nom revient inévitablement : Kilian Jornet. Athlète hors norme, il incarne la performance ultime en montagne. Mais son mode d’entraînement est-il un modèle à suivre pour tout traileur souhaitant progresser ? Dans cet article, on décortique un biais de raisonnement fréquent : le biais du survivant, qui consiste à croire qu’il suffit de reproduire les pratiques d’un champion pour obtenir les mêmes résultats.

Je veux revenir sur cette question car c’est une remarque qui revient souvent dans les commentaires Instagram, notamment suite à mon épisode sur la musculation en trail avec Lillian Lacourpaille. Un commentaire récent disait, par exemple : “Kilian ne fait pas de musculation, donc ce n’est pas utile en trail.” Ce type de raisonnement, bien que très répandu, mérite d’être analysé en profondeur.

Plusieurs raisons montrent que cette approche est erronée. Explications.

 

Pourquoi on ne peut pas reproduire l’entraînement de Kilian Jornet

L’entraînement des champions : une vraie boîte noir

La première erreur consiste à penser que l’on connaît avec précision l’intégralité de la routine d’un athlète de haut niveau. Kilian Jornet ou Axelle Mollaret ne partagent qu’une infime partie de leur entraînement sur les réseaux sociaux. Strava, Instagram ou les interviews ne révèlent qu’un fragment de leur charge de travail, souvent orienté vers des aspects visibles et impressionnants.

En réalité, leur programmation est bien plus complexe : volumes d’entraînement, intensités, adaptations spécifiques, planification à long terme… autant d’éléments dont on ne dispose pas. Copier ce qu’ils affichent en ligne, sans comprendre l’intention derrière, revient à prendre un puzzle incomplet et tenter d’en tirer une image cohérente.

Le biais du survivant : une vision trompeuse de l’entraînement

On entend souvent : “Si Kilian ne fait pas de musculation, alors je n’en ai pas besoin non plus.” C’est un raisonnement biaisé qui reflète ce qu’on appelle le biais du survivant (dont je vous parlais déjà ici.) Le biais du survivant consiste à ne prendre en compte que les succès visibles et à ignorer tout ce qui n’est pas sous nos yeux.

Si certains champions performent sans travail de force structuré, cela ne signifie pas que ce soit inutile. De nombreux autres athlètes de haut niveau pratiquent la musculation et obtiennent d’excellents résultats. Anne-Lise Rousset, Manon Bohard ou encore Théo Detienne intègrent un renforcement musculaire régulier. En ne regardant que ceux qui réussissent sans, on passe à côté de toutes les données montrant que cette approche fonctionne pour beaucoup d’autres coureurs, amateurs ou élites.

Kilian Jornet est-il un tube de dentifrice ?

Chaque coureur est différent, et ce qui fonctionne pour un athlète élite n’est pas nécessairement pertinent pour un coureur amateur ou même expérimenté. L’entraînement doit être adapté à l’individu, à son passé sportif, à ses points forts et faibles.

Pour illustrer cela, imaginez un tube de dentifrice. Pour un débutant, il suffit d’appuyer n’importe où pour que le dentifrice (le progrès) sorte. Mais chez un athlète d’expérience, certaines zones sont déjà vides : il faut être très précis pour continuer à améliorer la performance. Kilian Jornet a peut-être déjà optimisé tous les facteurs qui comptent pour lui, alors que d’autres traileurs pourraient encore bénéficier de marges de progression en musculation, en variation des intensités ou en gestion de la charge d’entraînement.

Mais à l’inverse, si Kilian n’a effectivement jamais fait de musculation, qu’est-ce qui nous dit qu’il n’aurait pas de réels progrès en intégrant cette pratique ? Comme il n’a jamais exploré cette piste (du moins publiquement), on ne peut pas conclure qu’elle serait inutile pour lui. Peut-être que dans la musculation se trouve, pour Kilian, un levier de performance encore inexploré. Les deux hypothèses sont plausibles : soit il a déjà maximisé son potentiel sans musculation, soit il aurait encore une marge d’amélioration en l’intégrant.

Les études scientifiques, un meilleur reflet de la majorité des athlètes

Plutôt que de baser son entraînement sur un cas unique, il est plus judicieux de s’appuyer sur des données issues de la recherche scientifique. Les études analysent les effets de différentes approches sur un échantillon représentatif, c’est-à-dire des coureurs plus proches de nous que des extraterrestres comme Kilian ou Axelle.

Par exemple, les recherches montrent que le travail de force maximale et la plyométrie améliorent la durabilité musculaire et retardent la fatigue en ultra-trail. La méta-analyse de Lanos et al. (2024) met en évidence des gains mesurables pour des coureurs amateurs et confirmés. Pourquoi ignorer ces données démontrés sur des coureurs similaires à vous et moi (≈ 40 à 70 de VO2 max dans les études inclues) sous prétexte qu’un champion fonctionne autrement ?

Conclusion – Ne t’inspire pas de l’entraînement de Kilian Jornet

Regarder les meilleurs est inspirant, mais cela ne signifie pas qu’il faut copier leur entraînement. Le biais du survivant fausse notre perception de ce qui fonctionne véritablement, et ignorer les études au profit d’exemples individuels est une erreur. La science offre des réponses solides et applicables à la majorité des coureurs.

Si tu veux en savoir plus et approfondir ces idées, je t’invite à écouter l’épisode complet de mon podcast, où j’explique en détail pourquoi les raisonnements simplistes peuvent nous induire en erreur.

 

 

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