“Cette étude souligne qu’à mesure que la distance des courses augmente, les coureuses semblent moins perdre en vitesse que les coureurs”
De quoi parle-t-on ?
Vous vous demandez qui a le plus d’endurance entre la femme ou l’homme ? Cet article, spécifique au trail, est pour vous 😉
Les courses de trail d’ultra-distance attirent de plus en plus de participants, que ce soit des amateurs ou des athlètes de haut niveau. De même, le nombre de femmes prenant le départ de ce type de course a considérablement augmenté ces dernières années. Par exemple, la proportion de femmes inscrites sur l’UTMB® est passée de 8 à 12 % en une 10 aines d’années. S’il est rare de trouver des exemples sur route (p. ex. 10km, semi-marathon, marathon) de coureuse féminine remportant la course au scratch, devant les hommes, des situations de ce type sont plus courantes en trail.
Plus précisément, sur des courses de trail de longue et d’ultra-distance, il est arrivé plusieurs fois soit qu’une coureuse féminine remporte la course au scratch, soit qu’une femme se trouve sur le podium au scratch. Voyons quelques exemples :
- En 2006, Corinne Favre remportait la CCC (86km, 4500m D+) au scratch avec presque 20 minutes d’avance sur le 1er homme et 50 minutes devant François d’Haene, alors 4e au scratch.
- En 2017, Courtney Dauwalter remportait la Moab 240 (387km, 9000m D+) 10 heures devant le 1er homme. En 2021, Claire Bannwarth remportait le Portugal 281 Ultramarathon (282km, 10000m D+) presque 4 heures devant le 1er homme.
- En 2022, Camille Herron (actuelle détentrice du record du monde de course à pied pendant 48h avec 435,336 kilomètres, plus d’info ici) remportait les championnats des États-Unis de 100 miles sur route, avec 30 minutes d’avance sur le 1er homme.
- On termine par la plus impressionnante, et ma préférée ➡️ en 2019, Jasmin Paris (récente finisher de la “Fun run” sur la Barkley 2023) a terminé la Montane Spine Race (431km, 13 300m D+) avec 15 heures d’avance sur le 1er homme. Son temps (82h 12min et 23sec) a été réalisé alors qu’elle allaitait son enfant aux (rares) ravitaillements. À l’heure où ce billet est rédigé, elle détient le record de la course tous sexes confondus.
L’augmentation du nombre de femmes au départ des courses, et l’amélioration de leurs temps au fil des années, a amené de nombreuses équipes de recherche à se questionner sur l’évolution que prendront les performances féminines en ultra-endurance, et à se demander si en fait, les femmes ne seraient pas plus endurantes que les hommes. En 1992, une équipe de recherche publiait même dans Nature, un des journaux scientifiques les plus prestigieux, une étude mettant en avant qu’avec le rythme de progression des performances féminines en marathon, les femmes devraient battre les hommes sur cette distance d’ici les années 2000 (si ce rythme se maintenait linéairement, ce qui n’a pas été le cas). De nombreuses autres études se sont intéressées à ce sujet, mais aucune n’a apporté de réponse robuste à cette question.
En 2023, un article scientifique a enfin apporté une première réponse fiable à la question : qui a le plus d’endurance la femme ou l’homme ? Voyons cette étude en détail !
Résumé de l’article.
Introduction.
Ces dernières années, de plus en plus de femmes ont pris le départ de course sur route, ou en trail (p. ex. +500% entre 1989 et 2009 sur marathon, vs. +60% pour les hommes). Cette augmentation de la densité des participantes s’est accompagnée d’une amélioration de leurs performances maximales. Si les femmes sont de plus en plus présentes sur des distances “courtes” (environ jusqu’à la distance marathon), on remarque cependant de moins en moins de partantes féminines à mesure que la distance des compétitions s’allonge (p. ex. 10% d’athlète féminine au départ de l’UTMB®. Cette observation est surprenante quand on sait que les coureuses ont des prédispositions génétiques qui seraient supérieures aux coureurs, et favoriseraient de meilleures performances que leurs concurrents masculins (p. ex. pourcentage plus élevé de fibres de type I ou la capacité d’utiliser la graisse à une intensité donnée). Il est cependant à ce jour difficile d’estimer si ces postulats théoriques soutenant des performances féminines supérieurs à celles masculines, se retrouvent en course ou non.
Cette étude cherche à répondre à cette question en utilisant la meilleure méthode de comparaison possible, afin de dépasser les limites des études précédentes.
Méthode.
La technique utilisée par les auteurs consiste à appairer (c.-à-d. constituer une paire) un homme et une femme aux performances relatives similaires (c.-à-d. par rapport au vainqueur de la course de leur sexe) sur une course de distance courte et sur une autre course de longue distance, courues toutes les deux la même année. Par exemple, un homme à 10% du vainqueur de la course sur un trail court, et à 8% du vainqueur sur un trail long, était appairé avec une femme à 10% de la vainqueur sur la même course de trail court, et à 8% de la vainqueur sur la même course de trail long. Une fois les paires constituées, les auteurs récupéraient les vitesses de course de l’homme et de la femme sur la course de trail court, et sur celle de trail long.
Ce procédé permet donc d’évaluer l’effet de l’augmentation de la distance sur les différences de vitesse moyenne entre les sexes. Par exemple, si pour une paire avec un même écart relatif initial au meilleur homme et à la meilleure femme sur une course courte, la femme de la paire démontre dans une course plus longue subséquente une diminution de 5% de sa vitesse, alors que l’homme démontre une diminution de 7%, cela suggère que la femme de la paire à moins perdu en performance que l’homme avec l’évolution de la distance, malgré des performances initiales relatives comparables, et donc que cette coureuse serait plus endurante que le coureur auquel elle a été appairée.
Pour réaliser cela, les auteurs ont utilisé les données enregistrées par le groupe UTMB®, dans le cadre du calcul de l’UTMB® index. Les paires étaient constituées d’un homme et d’une femme ayant couru au moins une course de trail courte (de 25 à 45 km-effort) et une course de trail long (de 45 à 260 km-effort) la même année (km − effort = distance (km) + (dénivelé positif (m)/ 100) (par exemple, l’UTMB, 160km et 10 000m D+ équivaut à 160 + (10 000 / 100) soit 260 km-effort). Le critère d’appariement était la performance relative au premier homme et à la première femme, respectivement, dans la course courte que l’homme et la femme considérés avaient en commun. Les données fournies par ce groupe sur 1 881 070 coureurs et coureuse ont permis la création de 7 251 paires d’hommes et de femmes ayant le même niveau relatif de performance.
Les auteurs récoltaient également le niveau de performance des athlètes, afin d’évaluer si les changements potentiels dans les vitesses de course (dues à l’augmentation de la distance de la course) étaient dépendant du niveau des athlètes ou non (p. ex. changements moins marqués chez les élites que chez les autres coureurs et coureuses).
Résultats.
Comme le montre la figure 1 ci-dessous, les résultats avancent que l’augmentation de la distance de course avait des effets délétères à la vitesse de course chez les hommes et chez les femmes, mais que ces effets étaient plus marqués chez les hommes que chez les femmes. Plus précisément, pour chaque augmentation de 10 km-effort, la vitesse des hommes diminue de 4.02% (95% CI [3.80 ; 4.25]) alors que celle des femmes diminue de 3.25% (95% CI [3.02 ; 3.46]), pour la même augmentation.
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Figure 1. Effet du sexe sur l’évolution de la vitesse en fonction de la distance, exprimée en km-effort. Les zones colorées autour des courbes représentent l’intervalle de confiance à 95%. Les courbes représentent l’effet marginal de chaque sexe (rouge : femmes, bleu : hommes). |
Les modèles statistiques supplémentaires ont révélé que les effets allaient dans la même direction quelque soit le niveau de performance des coureurs et coureuses, mais que ces pertes de vitesse, dues à l’augmentation des distances, étaient plus marquées chez les coureuses et coureurs de haut niveau (-3.76% et -4.32%, respectivement), que chez celles et ceux de plus bas niveau (-2.55% et -3.54%, respectivement) (figure 2). Autrement dit, tout le monde perd en vitesse quand la distance de la course augmente, mais cet effet est plus marqué chez les hommes que chez les femmes, et plus marqué chez les élites que chez les coureurs et coureuses les plus lents.
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Figure 2. Effet du sexe sur l’évolution de la vitesse en fonction de la distance, exprimée en km-effort, et pour chaque niveau de performance, divisés en quatre quartiles (Q1 : coureurs et coureuses les plus rapides, Q4 : coureurs et coureuses les plus lents). Les zones colorées autour des courbes représentent l’intervalle de confiance à 95%. Les courbes représentent l’effet marginal de chaque sexe (rouge : femmes, bleu : hommes). |
Conclusion.
En conclusion, on peut donc dire que la réponse est oui : les femmes sont plus endurantes que les hommes. La méthodologie innovatrice utilisée par cette étude souligne qu’à mesure que la distance des courses augmente, les coureuses semblent moins perdre en vitesse que les coureurs. À travers les graphiques, on observe même un point charnière où les deux courbes se recoupent, autour des 280km-effort (en moyenne), et où la vitesse des coureuses et des coureurs devrait être la même (chez les élites, Q1, ce point d’équilibre est plus haut, chez les athlètes plus lents, il est plus bas). En d’autres termes on devrait observer sur des compétitions de 280km-effort des performances moyennes équivalentes entre les femmes et les hommes.
Plusieurs mécanismes physiologiques pourraient expliquer ces résultats. Des études ont par exemple montré que les femmes avaient un plus grand pourcentage de fibres musculaires de type 1 (fibres de l’endurance), une meilleure résistance à la fatigue musculaire, de meilleures stratégies de pacing, ou encore une meilleure utilisation des lipides (plutôt que des glucides) comme carburant (même si à ce jour les recommandations en termes d’alimentation en longue distance sont les mêmes pour les femmes et pour les hommes, plus d’information ici). Bref, les hypothèses expliquant cette observation sont nombreuses, et des travaux sont nécessaires pour mieux comprendre pourquoi effectivement, les femmes sont plus endurantes que les hommes. En attendant, on espère que ce type de résultat amènera plus de coureuses à prendre le départ de course d’ultra-distance, leur participation restant à ce jour minoritaire sur ces formats.
Référence bibliographique
Le Mat, F., Géry, M., Besson, T., Ferdynus, C., Bouscaren, N., & Millet, G. Y. (2023). Running Endurance in Women Compared to Men: Retrospective Analysis of Matched Real-World Big Data. Sports Medicine, 53(4), 917-926.

Cyril Forestier
Trailer passionné 🏃🏻♂️ et docteur en science du mouvement humain (STAPS) 👨🔬 , je décrypte la littérature scientifique pour mieux comprendre notre pratique. Je rédige des articles afin de vulgariser des études, de vous partager mes tests matériels ou encore de vous communiquer ce qui me motive, tout ça dans le but de courir mieux ! Des réponses à vos questions se trouvent surement dans mes articles 😉.