Vous voulez savoir s’il est bon de courir à jeun ou pas ? Cet article est pour vous 😉
Courir à jeun, qu’est-ce que c’est ?
Pour progresser en endurance, l’entraînement est un des 3 piliers, avec la récupération et l’alimentation. Dans la préparation physique, il existe une multitude de modalités différentes, plus ou moins bénéfiques. Le temps étant souvent limité, et toutes les séances ne peuvent pas être réalisés. Alors, athlètes et entraîneurs sont souvent à la recherche des plus efficaces de toutes. Depuis plusieurs années, la croyance que courir à jeun est bénéfique pour progresser en aérobie s’est répandue. On peut lire régulièrement par exemple que pour les coureurs, débutants ou confirmés, ce type de footing améliorera vos performances en course à pied, en marathon, en semi-marathon, ou encore en trail.
Pourquoi courir à jeun ?
La raison principale de cette croyance n’est pas aberrante. Lorsque vous courez, les glucides permettent de produire de l’énergie, mais s’épuisent. Pendant un exercice physique, il faut donc en manger pour en avoir circulant et maintenir une certaine intensité. À l’inverse, les lipides aident eux aussi à la production d’énergie et sont quasiment inépuisables.
Avec ce constat en tête naît naturellement l’hypothèse selon laquelle habituer le corps à fournir un effort sans glucides le rendra plus fort le jour de la course, quand vos réserves de glucides, ou celui circulant seront effectivement plus bas. Cette hypothèse est jolie sur le papier, malheureusement la physiologie de l’exercice n’est pas si simple. Je vous propose ici de rentrer un peu plus dans les détails de ce type d’entraînement. Ensemble, et grâce à la littérature scientifique, nous allons évaluer ensemble s’il peut être bénéfique ou non.
Les footings à jeun en détail
En réalité, lorsqu’on se demande si courir à jeun est bon ou pas, on souhaite savoir si des entraînements à niveau de glycogène bas sont efficaces pour améliorer les performances en endurance. Le glycogène est un glucide complexe stocké dans le foie (c.-à-d. glycogène hépatique) et les muscles (c.-à-d. glycogène musculaire). Il est une réserve d’énergie qui peut être rapidement mobilisée à l’effort comme lors d’un entraînement en endurance.
Les séances à glycogène bas de manière aiguë (p. ex. entraînement à jeun) sont souvent proposées pour améliorer nos performances en endurance. De nombreux athlètes rapportent pratiquer plus ou moins régulièrement des séances d’entraînement avec des niveaux de glycogène (hépatique ou musculaire) volontairement bas.
Sleep low, train low, courir à jeun … les entraînements à glycogène bas
Quand on parle d’entraînement à glycogène bas, on distingue en fait 4 protocoles les plus couramment utilisés.
Train Low
Le premier est les entraînements de type “Train Low”. Il consiste à réaliser une première séance plutôt intense pour diminuer les stocks de glycogène. Celle-ci est ensuite suivie d’une récupération avec de faibles apports en glucides, par exemple un repas sans féculents. Enfin, l’athlète doit réaliser un deuxième entraînement dans la journée, par exemple en fin d’après-midi, à basse intensité.
Sleep Low
Une autre méthode d’entraînement à glycogène bas est celle qu’on appelle “Sleep Low”. Ce protocole est en fait une légère variante du Train Low. Il consiste à réaliser une première séance le soir, plutôt intense également, pour diminuer les stocks de glycogène. Cet entraînement sera suivi d’une restriction totale ou partielle des glucides au dîner, par exemple aucun féculent. Enfin, la personne réalisera une séance à basse intensité, le matin, à jeun après une nuit de sommeil.
Entraînement à jeun
Ce protocole est certainement le plus connu, et le plus simple à comprendre. Il revient tout bonnement à réaliser un entraînement le matin, avant d’avoir petit-déjeuné. Les intensités d’entraînements sont libres, mais il est tout de même souvent recommandé d’éviter la haute intensité, et de rester dans des zones cardiaques basses.
Entraînement sans apport
La dernière méthode pour réaliser une séance avec un stock de glycogène bas est de faire un entraînement sans apport. Pour cela, il suffit de programmer par exemple une sortie longue, et de réaliser celle-ci en intégralité sans aucun apport en glucides. Vos stocks de glycogène vont alors naturellement s’amoindrir. Vous serez donc, au bout d’une certaine durée, en état de stocks de glycogène bas.
Courir à jeun : des bienfaits ?
Il est souvent pensé que ce type d’entraînement améliore les performances en endurance. Par exemple, il favoriserait une meilleure résistance à la fatigue, et une meilleure utilisation des lipides. Cependant, leur efficacité réelle est débattue et les évidences scientifiques en leur faveur ne sont pas tranchées. Ceci est d’autant plus vrai depuis que les études ont révélé que les régimes de type cétogène (c.-à-d. privation chronique de glucides) semblent délétères aux performances d’endurance (voir cet article du blog).
En 2021, une méta-analyse (un type d’étude scientifique parmi les plus robustes, plus d’informations ici) a évalué l’efficacité de ce type de séance sur l’amélioration des performances en endurance. Pour cela, elle a réuni les résultats de plusieurs études scientifiques indépendantes sur ce sujet. Voyons voir celle-ci de plus près !
Courir à jeun ou pas ? Que dit la science !
Introduction
D’après les auteurs, de nombreuses études se sont intéressées aux effets d’entraînements réalisés avec peu de glucides. Cela peut être après restriction totale ou partielle de ce macronutriment. De plus, cette privation peut être chronique (p. ex. régime cétogène) ou aiguë (p. ex. entraînement à jeun). En effet, la grande disponibilité endogène des graisses dans le métabolisme humain, et une amélioration de leur utilisation (à la place des glucides) à l’effort, sont intéressantes et favoriseraient les performances en endurance.
Comparativement aux restrictions chroniques de glucides (qui elles ont montré un manque d’efficacité, voir cet article du site), celles périodisées (c.-à-d. aiguë) semblent moins drastiques (bien que jugées fatigantes par de nombreux athlètes). De plus, des mécanismes physiologiques activés uniquement quand les stocks de glycogène sont bas pourraient, théoriquement, maximiser les bénéfices des entraînements. Cette méta-analyse agrège statistiquement plusieurs études s’intéressant aux effets d’entraînements réalisés à glycogène bas sur la performance en endurance.
Méthode
Les auteurs ont rassemblé les résultats de 9 études publiées dans la littérature sur cette thématique. Les participants des études étaient des hommes et des femmes entraînés, avec une VO2 max minimum de 55 ml/min/kg (femme) ou 60 ml/min/kg (homme). Les phases d’entraînement duraient minimum 1 semaine, à raison d’au moins 3 séances à glycogène bas par semaine. Les états de glycogène bas étaient induits par un des quatre protocoles présentés au début de ce billet (p. ex. entraînements à jeun, “sleep low”). Les études utilisant une restriction glucidique prolongée (p. ex. plusieurs jours), et les études de cas étaient exclues. La qualité méthodologique des études a été évaluée en à 5,8 / 10 (± 0,9 ; qualité modérée).
Dans les études incluses, les personnes des groupes “contrôles” consommaient des glucides avant les exercices (p. ex. 5 gr de glucides par kilo de poids de corps dans le groupe “contrôle” vs. 0 gramme dans le groupe “glycogène bas). En termes de marqueurs de performance en endurance, les études demandaient aux participants de réaliser un effort de type “time trial” (c.-à-d. plus grande distance parcourue en un temps donné), ou de type “meilleur temps” (c.-à-d. course d’une distance donnée le plus rapidement possible). Ces mesures de performance en endurance étaient presque toujours réalisées après un pré-effort fatigant, visant à diminuer les stocks de glycogène (p. ex. 40km de vélo, 1h30 d’échauffement varié).
Résultats
La méta-analyse a révélé que les entraînements à glycogène bas n’avaient pas d’effet significatif supérieur aux entraînements “contrôles” sur l’amélioration des performances en endurance, et chez des athlètes entraînés (SMD = .17, 95% CI [-.15, .49] ; p = .29).
Figure 1. Agrégation statistique des entraînements à glycémie basse (vs. entraînements « contrôles ») sur la performance en endurance. |
Note. Ce graphique illustre les effets des entraînements à glycogène bas vs. entraînements “contrôles” chez des athlètes entraînés. La “moyenne” est le changement relatif moyen de la performance d’endurance et le “SD” autour de ces changements moyens. “Total” est le nombre de sujets dans chaque groupe. L’axe des x indique la taille de l’effet trouvé dans chaque étude (c.-à-d. d de Cohen, soit une différence moyenne standardisée). Les moustaches indiquent les intervalles de confiance à 95 %. |
Conclusion – Courir à jeun, bon ou pas ?
En conclusion, la croyance selon laquelle les entraînements à jeun sont plus bénéfiques et améliorent les performances semble erronée. À travers 9 études, cette méta-analyse montre que s’entraîner avec des stocks de glycogène bas engendre des bénéfices équivalents à s’entraîner en en ayant consommé. Ces résultats vont dans le sens d’une récente revue de littérature sur la même thématique (Ryan et al., 2023). L’étude ne précise pas si les résultats sont spécifiques à un type de protocole (p. ex. Train Low, Sleep Low). Cependant, ces derniers sont tous basés sur le même principe physiologique, à savoir réaliser un effort avec des stocks de glycogène bas. On peut donc penser raisonnablement qu’ils seront les mêmes, quelle que soit l’approche.
Une explication possible est que les athlètes d’endurance sont déjà involontairement exposés à des périodes d’effort prolongées avec des niveaux de glycogène plus bas qu’à la normale dans leurs entraînements quotidiens. En effet, à l’effort sur un entraînement long par exemple, les stocks de glycogène diminuent forcément. De même, quand 2 entraînements se succèdent dans une journée, le temps entre ces dernières est souvent réduit. Il est alors difficile de reconstituer totalement les stocks de glycogène. Cette réalité peut expliquer le manque d’efficacité des séances spécifiquement réalisées à glycogène bas, et la marge de progression limitée, voire inexistante, de celles-ci.
S’entraîner à glycogène bas ou pas ?
Je vous partage ici ma vision des choses. Lors de la planification des entraînements, il faut faire des choix entre énormément de séances qualitatives possibles. Les décisions sont souvent prises en faveur de celles qui engendreraient les plus grands bénéfices physiologiques, et le plus grand niveau d’adaptation. Dans cette perspective de prises de décisions optimales pour le développement des performances en endurance, et au vu des résultats de cette méta-analyse les entraînements sur stocks de glycogène bas, ne me semble pas un choix pertinent.
Car, bien que ces résultats ne signifient pas que les séances réalisées sur stocks de glycogène bas sont délétères à la performance, il faut garder 3 aspects à l’esprit. Tout d’abord (a) ces séances sont des entraînements qualitatifs engendrant une certaine fatigue dont les athlètes doivent récupérer. Leurs pratiquants rapportent souvent un manque d’énergie considérable par la suite. Ensuite, (b) elles ne permettent pas de réaliser n’importe quel entraînement. La littérature souligne que des séances intenses, type fractionné, à jeun seraient sous-optimales car le manque de glycogène limiterait l’intensité maximale atteinte à chaque fraction, et augmenterait la fréquence cardiaque atteinte pour un même niveau d’effort. (c) Elles ne semblent pas induire de bénéfices supérieurs à des séances à stocks de glycogène normaux ou hauts.
Enfin, d‘autres entraînements, comme les sorties longues en zone 1 qui stimulent au maximum l’utilisation des lipides à l’effort, sont eux efficaces pour améliorer cette lipolyse, et progresser en endurance. Aussi, tous ces constats réunis, il me semble personnellement intéressant de délaisser cette stratégie de manipulation nutritionnelle, au profit d’autres entraînements qui induiront des bénéfices plus marqués.
Vidéo résumé de cet article
Référence bibliographique
· Gejl, K. D., & Nybo, L. (2021). Performance effects of periodized carbohydrate restriction in endurance trained athletes–a systematic review and meta-analysis. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 18(1), 37. (Lien)
· Ryan J., et al. “Nutritional strategies for endurance cyclists—periodized nutrition, ketogenic diets, and other considerations.” Current Sports Medicine Reports 22.7 (2023): 248-254.