Comment éviter les crampes en trail ?Temps de lecture estimé : 7 minutes

“Si vous souhaitez éviter les crampes en trail, au placard les remèdes “miracles”. Préférez plutôt des stratégies raisonnées, comme un bon pacing, un rythme testé et qu’on sait pouvoir maintenir, et une bonne récupération avant le jour J.”

Qu’est-ce qu’une crampe ?

Une crampe est une contraction musculaire involontaire et douloureuse qui survient de manière soudaine et intense dans un muscle ou un ensemble de muscles. Physiologiquement, elles sont généralement le résultat d’un dérèglement dans la régulation de l’excitation et de la contraction musculaire. En temps normal, les muscles se contractent et se relâchent de manière coordonnée grâce à l’équilibre entre les signaux électriques et chimiques qui régulent ce processus. Lors d’une crampe, on observe une hyperexcitabilité musculaire, c’est-à-dire une contraction excessive et prolongée. Les crampes sont passagères et disparaissent généralement d’elles-mêmes, mais étirer le ou les muscles concernés accélère leur disparition.

En trail, les crampes peuvent rapidement compromettre une course. On se souvient par exemple de la dégringolade de François d’Haene en 2021 sur le trail du Cap-Vert (113km, 7500m D+), passant de 1er (avec 1h40 d’avance) à 3e, à cause (entre autres) de crampes musculaires considérables (histoire ici).

Longtemps attribuées à une déshydratation et aux pertes en sodium, en magnésium, ou encore en potassium, les crampes viendraient de toute autre chose. De récentes études ont montré que les crampes n’étaient liées ni à la concentration en électrolytes dans le sang ; ni aux apports en sodium pendant la course ; ni à l’hydratation pendant la course. Voyons voir de plus près ce que 3 études avancent, et ce qu’elles proposent pour éviter les crampes en trail.

Comme je vulgarise ici 3 articles, je vous propose une version concise de chacun. Si vous voulez des informations plus détaillées sur ces papiers, n’hésitez pas à me contacter, ou à aller lire ces derniers.

Article 1 – qu’est-ce qui n’évite pas les crampes ?

Introduction et méthode.

En 2004, Schwellnus et ses collaborateurs ont mené une étude pour évaluer si des athlètes d’ultra-distance ayant eu des crampes pendant une course avaient des concentrations d’électrolytes dans le sang différentes d’athlètes n’en ayant pas eu.

Ils ont recruté 43 coureurs et coureuses sur le Two Oceans Ultra-marathon (56km). Après avoir franchi la ligne d’arrivée, les athlètes ayant vécu des crampes pendant la course étaient regroupés dans la catégorie “crampe” (n = 21), et ceux n’en ayant pas eu étaient regroupés dans la catégorie “contrôle” (n = 22).

Les chercheurs réalisaient des prises de sang avant le départ, ainsi qu’à l’arrivée, et 1h après celle-ci. Ces dernières permettaient d’évaluer les concentrations sanguines de sodium, potassium, magnésium, calcium (c.-à-d. électrolytes), glucose, protéines plasmatiques et le taux d’hémoglobines. Ils pesaient également les participants et participantes avant et après la course pour estimer le taux de (dés)hydratations à l’arrivée.

Résultats et conclusion.

Les analyses statistiques ont révélé qu’il n’y avait aucune différence cliniquement significative, à aucun temps de mesure, entre les deux groupes (”crampes” vs. “contrôle”) concernant les concentrations sanguines de sodium, de potassium, de calcium, de magnésium, de glucose, ni de protéines. Il n’y avait pas non plus de différence entre les groupes dans le niveau d’hydratation.

Cette étude conclut donc que les croyances selon lesquelles les crampes sont dues à des manques dans les concentrations sanguines en électrolytes, ou des problèmes d’hydratation seraient fausses, et qu’il faudrait chercher leur origine ailleurs.

Article 2 – Déterminants des crampes chez des coureurs.

Introduction.

En 2011, Schwellnus et d’autres collaborateurs ont étendu les résultats de leur précédente étude. Ils ont évalué si certaines stratégies de pacing étaient à risque, ou protectrice. De plus, ils ont investigué si les dommages musculaires avant une course, dus par exemple à une mauvaise récupération avant le départ, étaient associés aux crampes pendant la course.

Méthode.

Les chercheurs ont recruté 49 coureurs et coureuses du Two Oceans Ultra-marathon (56km). Ils mesuraient :

  • le taux de créatine kinase, avant la course (marqueur sanguin d’inflammation, mesure indirecte des lésions musculaires antérieures à la course)
  • les douleurs musculaires perçues, avant et après la course
  • les entraînements habituels des participants et participantes, avant la course (p. ex. fréquences et durée des entraînements au cours des 15 semaines précédant la course)

Après avoir franchi la ligne d’arrivée, les athlètes ayant eu des crampes pendant la course étaient regroupés dans la catégorie “crampe” (n = 20), et les autres dans la catégorie “contrôle” (n = 29).

Résultats.

Les résultats n’ont montré aucune différence significative concernant l’entraînement en course à pied entre les 2 groupes, bien que les athlètes du groupe “crampe” se soient légèrement plus entraînés les 3 jours avant le départ, que ceux que du groupe “contrôle”. De plus, les personnes du groupe “crampe” avaient couru significativement plus vite la première moitié de la course que ceux du groupe “contrôle”. Cependant, aucune différence significative ne ressortait dans le temps de course sur la 2e moitié de la course ni dans le temps total de course (c.-à-d. performance générale similaire).

Enfin, les membres du groupe “crampes” avaient légèrement plus de marqueurs inflammatoires avant le début de la course que ceux du groupe “contrôle”, mais cette différence n’était pas statistiquement significative. Concernant les douleurs musculaires perçues, aucune différence significative n’est ressortie.

Conclusion.

En conclusion, cette étude souligne que malgré des volumes d’entraînements hebdomadaires et des temps totaux de course similaires, les membres du groupe “crampes” semblaient partir plus vite que ceux n’ayant pas de crampes, mais ralentissaient par la suite (c.-à-d. 1re moitié de course plus rapide, 2e moitié plus lente). De plus, ils s’entraînaient légèrement plus les jours précédant la course, et avaient légèrement plus de marqueurs d’inflammation avant le début de celle-ci (c.-à-d. signe probable d’une récupération sous-optimale).

Aussi, un meilleur pacing pendant la course (c.-à-d. rythme plus stable) et une récupération plus minutieuse avant celle-ci pourraient prévenir les crampes.

Article 3 – Déterminants des crampes chez des triathlètes.

Introduction et méthode.

La même équipe de recherche (Schwellnus et al., 2011) a mené une étude similaire chez des triathlètes. Ils ont recruté 210 athlètes allant prendre le départ d’un triathlon du circuit Ironman. Ils mesuraient :

  • Les concentrations sanguines de sodium, potassium et chlorure avec une prise de sang, et le poids corporel des athlètes (pour estimer les pertes hydriques), avant et à l’arrivée de la course ;
  • la consommation hydrique pendant la course ;
  • le volume d’entraînement durant les 15 semaines précédant la course ;
  • le temps de course total prévu, et les temps de course prévus pour chaque épreuve (c.-à-d. natation, cyclisme, course à pied)
  • le temps de course total réalisé, et les temps de course réalisés pour chaque épreuve (c.-à-d. natation, cyclisme, course à pied)

Après avoir franchi la ligne d’arrivée, les athlètes ayant eu des crampes pendant la course étaient regroupés dans la catégorie “crampe” (n = 43), et les autres dans la catégorie “contrôle” (n = 166).

Résultats.

Tout d’abord, les résultats n’ont montré aucune différence significative entre les athlètes des deux groupes concernant les performances antérieures et récentes, le nombre de compétitions réalisées, et la fréquence ou le volume d’entraînement pendant les 15 semaines précédant la course et la dernière semaine précédant celle-ci. Ce premier résultat suggère donc que les personnes des deux groupes sont de mêmes niveaux, et s’entraînent similairement avant la compétition.

Ensuite, les athlètes du groupe “crampe” avaient un temps de course prévu total, un temps de course prévu sur l’épreuve cyclisme, un temps de course prévu sur l’épreuve course à pied, un temps de course réalisé total, et enfin un temps de course réalisé sur l’épreuve cyclisme plus rapide que ceux du groupe “contrôle”.

De plus, en comparant ces deux groupes, il n’y avait aucune différence significative entre avant et après la course concernant le changement du poids corporel, et celui des concentrations sanguines en électrolytes. De même, les personnes des deux groupes avaient consommé une quantité d’eau similaire durant la compétition.

Enfin, la dernière analyse réalisée par les auteurs a montré que les seules variables qui prédisaient significativement les crampes étaient le fait d’avoir eu des crampes par le passé, et un temps de course plus rapide (c.-à-d. quand le temps de course diminue, la probabilité d’avoir des crampes augmentait).

Conclusion.

En conclusion, cette étude souligne que chez des triathlètes de niveau similaire et avec des volumes d’entraînements semblables, les crampes seraient expliquées par un temps de course total plus rapide, et une prédisposition à avoir ce type de problème.

Conclusion, comment éviter les crampes en trail ?

Résumé des articles.

Au vu des 3 études discutées, il semble que nous pouvons tirer quelques conclusions sur comment éviter les crampes en trail. Tout d’abord, 2 de ces études montrent que les changements dans les électrolytes entre le début et la fin d’une compétition ne sont pas associés aux crampes. Aussi, malgré les nombreux produits avançant ces bénéfices, des apports en électrolytes pendant l’effort, à travers par exemple des tablettes effervescentes ou des capsules, ne préviendront probablement pas vos crampes.

Ensuite, les résultats de ces travaux ont également fait ressortir qu’à niveau sportif et de performance physique égal, une mauvaise stratégie de pacing (p. ex. trop rapide sur une partie de la course), une vitesse de course plus rapide que ce que notre corps serait capable de réaliser (p. ex. plus rapide que des coureurs du même niveau que nous) , et une mauvaise récupération avant la course, seraient 3 facteurs favorisant les crampes.

Mais ces 3 facteurs sont contrôlables ! En temps que sportif et sportive nous pouvons modifier ces derniers. Aussi, pour éviter les crampes en trail, il semble pertinent d’adopter une stratégie de pacing optimale (c.-à-d. limiter le plus possible les variations de vitesse importantes entre le début et la fin de la course) ; de choisir une vitesse de course cohérente avec notre niveau sportif et avec ce que notre corps peut supporter ; et d’accorder une importance particulière à la récupération avant la compétition (par exemple avec une bonne période d’affûtage, plus d’info ici). Ceci est d’autant plus intéressant qu’un bon pacing, caractérisé par un faible coefficient de variation de la vitesse (voir cet article publié, et cet article du blog), est associé à un temps de course plus rapide qu’un mauvais pacing. Les études montrent d’ailleurs le même type de résultat avec un affûtage optimal vs. sous-optimal.

Oui, mais …

Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’en compétition il ne faut pas parfois “prendre des risques” avec un rythme plus élevé que d’habitude (et avec le rythme uniquement !). Tenter le diable en sortant de sa zone de confort peut se passer sans encombre, avec même parfois de beaux résultats à la clé. Cependant, si l’objectif est d’éviter les crampes en trail, par exemple parce que ces dernières ont compromis une compétition précédente, et que vous craignez qu’elles vous empêchent de finir une nouvelle course, alors il semble pertinent de ne pas jouer avec le feu, et d’adopter les stratégies mentionnées par ces études.

Conclusion.

En d’autres termes, si vous souhaitez éviter les crampes en trail, au placard les remèdes “miracles” type “jus de cornichon” (oui oui, cet argument farfelu existe, la preuve ici, et “boissons électrolytes”. Préférez plutôt des stratégies raisonnées, comme un bon pacing, un rythme testé et qu’on sait pouvoir maintenir, et une bonne récupération avant le jour J.

Références bibliographiques.

Schwellnus MP, Allie S, Derman W, Collins M. Increased running speed and pre-race muscle damage as risk factors for exercise-associated muscle cramps in a 56 km ultra-marathon: a prospective cohort studyBr J Sports Med. 2011;45(14):1132-1136.

Schwellnus MP, Nicol J, Laubscher R, Noakes TD. Serum electrolyte concentrations and hydration status are not associated with exercise associated muscle cramping (EAMC) in distance runnersBr J Sports Med. 2004;38(4):488-492.

Schwellnus MP, Drew N, Collins M. Increased running speed and previous cramps rather than dehydration or serum sodium changes predict exercise-associated muscle cramping: a prospective cohort study in 210 Ironman triathletesBr J Sports Med. 2011;45(8):650-656.

Cyril Forestier

Trailer passionné 🏃🏻‍♂️ et docteur en science du mouvement humain (STAPS) 👨‍🔬 , je décrypte la littérature scientifique pour mieux comprendre notre pratique. Je rédige des articles afin de vulgariser des études, de vous partager mes tests matériels ou encore de vous communiquer ce qui me motive, tout ça dans le but de courir mieux ! Des réponses à vos questions se trouvent surement dans mes articles 😉.

 cyrilinthemountains@gmail.com

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